Sida: les Africains prennent la parole

Il avait peu de mots à dire. Un gosse kényan parmi les 15 millions d’orphelins sur le continent à partager son destin. Sean Kigaru, 10 ans, tee-shirt jaune soleil, a pris le micro et l’a serré, très fort. «Voilà : mon père est mort du sida, ma mère est morte du sida, une soeur est morte du sida, deux frères sont malades du sida.» Puis il a raconté, en trois phrases, sa lutte pour manger, ses petits boulots de môme jamais scolarisé, sa volonté de survivre.

Souffrance

Beatrice Were, 38 ans, ougandaise, a enchaîné. «On dénonce les pays riches, qui ne tiennent pas leurs promesses. On interroge l’Organisation mondiale de la santé, qui promettait trois millions de malades sous traitements en 2005 et n’arrive pas au tiers. On pousse les ONG du Nord pour qu’elles arrêtent de nous imposer leurs programmes.» Applaudissements.

«Mais que dire de nos leaders, qui piquent dans les caisses, nous laissant les enterrements, la souffrance, le vide, sans rien. Que dire de notre presse, qui préfère faire du people et oublie le sida qui tue notre avenir ? Que dire de Pepfar [programme américain, ndlr], qui moralise, stigmatise, pense, comme les Eglises, que les capotes ne font pas partie de la stratégie et qu’il faut encourager les femmes à être fidèles à des hommes qui ne le sont pas ?» Stupeur.

Un atelier parmi d’autres ; un atelier différent pourtant. Ce sont des Africains qui ont pris la parole pour parler de cette pandémie qui concentre 70 % de ses malades sur un seul continent. Pas les grandes ONG ni les institutions internationales. Des victimes, des témoins, des acteurs. Comme Beatrice Were, dont l’ex-mari est mort de la maladie. Aiguillon du réveil de la société civile, elle a créé, il y a douze ans, une organisation pour les femmes victimes du sida. Des militants.

James Como, 45 ans, résume ainsi les lueurs d’espoir et l’immensité du désespoir. «Cela fait quatorze ans que je prends un traitement. Je survis, j’ai pu aider mon fils, qui vient de devenir docteur. Au Kenya, 110 000 personnes sont sous traitement, 300 000 l’attendent encore. Au Nigéria, 100 000 sont soignés, 650 000 ne le sont pas ; 250 000 en Afrique du Sud sont pris en charge et 1 million sont oubliés. Sans parler des traitements de seconde ligne.» Indispensable en cas de résistance aux médicaments, mais hors de prix. Deux mille personnes en auraient obtenu au Kenya.


Corruption

«Le sida est une balle lente qui a fait plus de morts que toutes les kalachnikovs et toutes les guerres sur le continent, enchaîne John Merintene, professeur de médecine zambien. Pire que l’esclavage et la colonisation ; 5 000 morts par jour. Vous, pays du Nord, avez le devoir de nous aider, mais arrêtez de nous dire comment faire.» Beatrice Were hausse les épaules. «Ce genre de laïus, n’est plus d’actualité, évacue-t-elle. Pour la première fois, le sida nous pousse à questionner notre culture, nos traditions, nos tabous, nos mythes. Comme le patriarcat qui nous renvoie, nous femmes, à un sous-genre. Sans parler de la corruption.» L’an passé, c’est elle qui a poussé le président de l’Ouganda à prendre une décision inédite : virer son ministre de la Santé, accusé d’avoir détourné du cash du Fonds mondial contre les pandémies.

Alors qu’une jeune institutrice, veuve, malade, mère de trois enfants, raconte comment après avoir raté un rendez-vous faute d’argent, on l’a viré de l’accès aux soins, Beatrice Were évoque son prochain combat. Trouver des fonds, après la suspension des dotations du Fonds mondial, de la Banque mondiale… et du gouvernement, qui, après avoir un temps arrêté la distribution de 30 millions de préservatifs, vient de réduire le budget de la santé. Résultat, assure la militante : «L’Ouganda a longtemps été en pointe dans la lutte, mais l’épidémie repart en flèche : plus 125 000 cas l’an passé… Le culte de l’ABC ­ Abstinence, Be Faithfull, Use Condom ­ [abstinence, fidélité, préservatif, ndlr] ne suffit pas. Il n’y a pas une conspiration contre l’Afrique, mais une conspiration du silence de l’Afrique.»

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