La septième édition du Forum social mondial (FSM) s’est tenue du 20 au 25 janvier dans la capitale du Kenya. Des milliers de personnes du monde entier ont pris part à cet événement, devenu le plus important de la scène altermondialiste mondiale. Le commerce équitable y a occupé une place de choix, aussi bien dans les débats que lors des activités de la délégation suisse venue participer à la rencontre.
Plusieurs dizaines d’ateliers et de conférences (sur plus de mille programmés) se sont focalisés sur les relations commerciales entre le Nord et le Sud et, plus spécifiquement, sur le commerce équitable. De nombreux stands de vente de produits équitables et d’information de différentes organisations “fair trade” étaient également installés, pour la durée du forum, dans le monumental stade national de Kasarani.
“Rester vigilants”
“Les fruits secs, l’artisanat, les bijoux, tous les objets que j’ai vus m’ont convaincue de la créativité des producteurs locaux”, commente Agnès Jubin. Volontaire des Magasins du Monde (FG) et Secrétaire générale de l’ONG romande E-Changer, Mme Jubin faisait partie de la délégation suisse composée de cinq parlementaires fédéraux et cantonaux, de journalistes, de syndicalistes et de représentants d’ONG de coopération.
La présence de produits du commerce équitable dans un continent aux prises avec de graves problèmes économiques, sociaux et écologiques soulève plusieurs questions de fond, notamment celle de l’origine des produits. “Je pense qu’il est important de rester attentif aux exigences écologiques de fabrication, que ce soit aux Magasins du Monde ou dans toute autre organisation de commerce équitable”, souligne Agnès Jubin.
La volontaire n’en est pas moins convaincue de l’importance de cette nouvelle expérience africaine et de la valeur de l’échange basé sur des principes éthiques et une sensibilisation active au Nord. “Je reviens très satisfaite. C’était impressionnant de voir une Afrique autonome et militante à Nairobi. Mais aussi de sentir qu’avec notre savoir-faire suisse nous pouvons aider de petits producteurs, comme les femmes de la communauté Massaï, et construire ensemble de nouveaux objectifs et utopies.”
Soutien aux femmes
Quand on lui demande quelle sont ses priorités pour le futur, Agnès Jubin est très claire : “Nous devons renforcer notre soutien aux produits et projets auxquels participent des femmes.” Car elles représentent un exemple de courage dans un combat quotidien pour leur survie personnelle et celle de leur famille. “Valoriser le travail des femmes et les appuyer dans leur auto-affirmation est primordial dans un continent où elles jouent un rôle essentiel et où leur parole est irremplaçable.”
“Si nous réussissons à identifier des produits fabriqués par ces travailleuses, nous atteindrons deux objectifs: aider les femmes africaines et bénéficier de produits de haute qualité (artisanat, bijoux). Ce serait une chance de pouvoir vendre ces objets en Suisse.”
Derrière la réflexion menée par Agnès Jubin, se cache une conviction, celle de l’importance d’assurer au commerce équitable une “certification sociale” quand l’objet est produit dans le respect et la dignité. Pour l’avenir, “il serait important que davantage de personnes actives dans le commerce équitable, en Suisse et au Nord, participent au Forum social mondial. C’est un événement unique qui permet de renforcer nos convictions et de renouveler nos espoirs.”
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Agnès Jubin: «Mon coup de cœur va à ces communautés…»
“Deux heures de voyage à l’extérieur de la capitale Nairobi, loin des circuits touristiques, ont suffi pour rejoindre des communautés villageoises. Notre délégation a été accueillie avec la générosité et la joie proverbiales des Africains.
Personnellement, ce sont les initiatives et la volonté de ces communautés, spécialement des femmes, qui m’ont le plus touchées. Des villageoises victimes de violence se sont, par exemple, mobilisée pour exiger un changement de pratique et faire valoir leurs droits. Ou encore, une communauté massaï, qui tout en conservant jalousement ses richesses culturelles, priorise l’éducation des jeunes et la formation des femmes pour qu’ils accèdent à leur indépendance.
Mon coup de cœur va à ces communautés qui croient en leurs propres forces pour s’assurer des conditions de vie dignes.”
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Roses “équitables” du Kenya
Au niveau mondial, la vente de fleurs coupées représente quatre milliards de dollars US par an. Les Suisses sont parmi les plus grands consommateurs. En 2000, ils dépensaient en moyenne 124 francs par an et par habitant pour l’achat de fleurs. Un quart de ces fleurs proviennent des pays du Sud : Kenya, Zimbabwe, Equateur ou Inde.
En 2001, Max Havelaar a introduit sur le marché les premières roses “équitables” suscitant une polémique toujours en cours actuellement. La moitié des roses équitables vendues en Suisse proviennent du Kenya. A titre d’exemple, à la Coop, les roses du Kenya sont vendues 10% plus chères que les roses traditionnelles.
Sur le terrain, la FLO (Fairtrade Labelling Organization), dont le siège est à Bonn en Allemagne, appose un label de qualité sur les produits dont les conditions de production sont certifiées “équitables”. “Nous faisons un effort considérable pour que les producteurs respectent de bonnes conditions sociales, syndicales et de sécurité dans les postes de travail”, soutient Kadzo Kogo -appelée “Mama” par les travailleurs- responsable de la certification FLO pour le Kenya.
L’entreprise Waridi, située sur les rives du fleuve Athi à 40 kilomètres de Nairobi, emploie 350 ouvriers dans ses plantations de roses. Seule une partie de sa production est certifiée FLO et écoulée par les canaux du commerce équitable. Le reste se vend sur le marché traditionnel. Chaque année environ 140 000 francs sont redistribués dans des projets sociaux. Parmi les travailleurs, il règne un certain consensus sur les bénéfices que rapporte une telle production. Si le salaire est un peu meilleur que dans d’autres exploitations non-équitables, les conditions de vie sont loin d’être paradisiaques. Avec cent francs de salaire par mois -dans un pays où de nombreux produits sont à peine moins chers qu’en Suisse- la vie n’est pas toujours rose.
“Le problème majeur, ici, est le salaire minimum. On peut avoir les meilleures conditions de travail au monde, mais si on ne gagne pas suffisamment pour vivre dignement, c’est difficile”, souligne Lazurus Otieno, responsable syndical à Waridi. Par ailleurs, chaque plant de roses absorbe trois litres d’eau par jour, dans un pays qui souffre de la sécheresse. Ainsi, un tiers de l’eau utilisée par la Waridi est recyclée. Le fleuve Athi, de même que le lac Naivasha et l’environnement souffrent des conséquences de la monoculture d’exportation. Les roses sont peut-être équitables, mais entourées d’épines!
Sergio Ferrari, de retour de Nairobi, Kenya
Traduction : Virginie Poyetton