Au Kenya, le VIH/SIDA est une urgence nationale. On estime à 2,1 millions la population d’adultes et d’enfants vivant avec le VIH/SIDA, ce qui représente 14 pour cent de la population sexuellement active
Le taux de prévalence du VIH au Kenya est le neuvième au monde. L’ONUSIDA estime qu’environ 500 personnes par jour sont mortes du SIDA, dans le pays, en 1999. Beaucoup d’experts au Kenya utilisent maintenant le nombre de 600 morts ou plus, par jour. Les projections du Bureau américain du Recensement indiquent que d’ici 2005, il y aura environ 820 morts par jour du SIDA au Kenya. Jusqu’à présent, environ 75 pour cent des morts du SIDA au Kenya ont concerné des adultes de dix-huit à quarante-cinq ans. On continue à se voiler la face et à faire la sourde oreille devant le VIH/SIDA dans la majeure partie du Kenya, ce qui complique les débats sur des mesures politiques et légales pour s’attaquer au problème ainsi qu’à la mise à disposition de services pour ceux qui sont touchés.
Le VIH/SIDA a fait des ravages au Kenya au cours d’une période de forte hausse du taux de pauvreté. En 1972, on estimait qu’environ 3,7 millions de Kenyans vivaient dans la pauvreté (défini par un niveau de revenu de moins de 1 USD par jour). Aujourd’hui, ce nombre est d’environ 15 millions ce qui représente 52 pour cent de la population. La province de Nyanza qui a le taux d’infection le plus élevé du pays, soit 29 pour cent, possède également le taux de pauvreté le plus élevé alors qu’au début des années 90, cette province faisait partie des régions les moins pauvres du pays.
Le VIH/SIDA a contribué à la récession économique de diverses façons. L’agriculture emploie environ la moitié de la main d’oeuvre au Kenya. Dans la seule province de Nyanza, le SIDA a réduit la main d’oeuvre sur les exploitations agricoles d’environ 30 pour cent. La Banque Mondiale estime qu’en 2000, une société moyenne au Kenya a déboursé l’équivalent de 8 pour cent de ses profits pour régler des coûts liés au SIDA comme l’absentéisme de son personnel. Le Projet de Politique de Futures Group International estime qu’un foyer moyen de petits cultivateurs en milieu rural perd entre 58 et 78 pour cent de son revenu suite au décès par le SIDA d’un adulte économiquement actif. Les pertes subies par des foyers urbains sont du même ordre de grandeur. La mort d’un second adulte entraîne la perte d’environ 116 à 167 pour cent du revenu du foyer, ce qui signifie que le foyer contracte des dettes, est contraint de se séparer de biens, retire ses enfants de l’école ou les envoie vivre chez des parents de la famille.
Comme dans de nombreux pays, le nombre d’orphelins au Kenya fait l’objet de controverses. En 1999, les Nations Unies ont estimé qu’il y avait environ 730 000 enfants de moins de quinze ans, ayant perdu leur mère ou leurs deux parents des suites du SIDA depuis le début de l’épidémie, au Kenya. 550 000 de ces enfants sont encore en vie. Une estimation plus récente chiffrant à environ 1 million les orphelins du SIDA vivant actuellement dans le pays est largement acceptée, notamment par de nombreux experts interrogés par Human Rights Watch. Le Programme national kenyan de contrôle du SIDA et des maladies sexuellement transmissibles (NASCOP) estime qu’il y aura 1,5 million d’orphelins de moins de quinze ans d’ici 2005, en large partie à cause du SIDA.
Les services sociaux, notamment ceux sur lesquels s’appuient les enfants, sont gravement touchés par le VIH/SIDA au Kenya. La Teachers Service Commission estime qu’il manque nationalement environ 14 000 professeurs aux niveaux primaire et secondaire et attribue ceci en grande partie aux morts par le SIDA parmi les professeurs. Selon un responsable de haut rang du Ministère de l’Education interrogé par Human Rights Watch, il est possible qu’une école kenyane ait jusqu’à sept de ses dix-huit postes d’enseignants vacants à cause des effets du SIDA.
Les besoins en soins et traitement des personnes vivant avec le SIDA ont surchargé les services de santé dans certaines parties du pays, entraînant un accès réduit aux services en général, notamment aux services de base pour la santé et la survie des enfants. Une étude a estimé que d’ici 2000, les dépenses engagées pour assurer les soins des malades du SIDA, dans les centres de santé dépendant du gouvernement, seraient à peu près équivalentes à l’ensemble du budget du Ministère de la Santé pour l’année 1993-94. Récemment seulement, sous la pression des organisations non gouvernementales, le gouvernement a commencé à prendre des mesures afin d’améliorer l’accès aux médicaments antirétroviraux pour la majeure partie des personnes atteintes du SIDA dans le pays, personnes pour lesquelles ces médicaments demeurent financièrement hors de portée. En juin 2001, malgré la ferme opposition des compagnies pharmaceutiques, le Parlement kenyan a passé le Industrial Properties Bill qui permettra au pays d’importer et de fabriquer des médicaments antirétroviraux génériques. De plus, le Ministre des Finances a récemment annoncé que les taxes sur les préservatifs importés seraient supprimées afin d’accélérer la lutte contre le VIH/SIDA. Les filles sont particulièrement affectées par l’épidémie du SIDA au Kenya. Le taux d’infection par le VIH chez les filles et les jeunes femmes de quinze à dix neuf ans est environ six fois plus élevé que celui de leurs camarades masculins dans les régions les plus touchées un schéma que l’on retrouve dans de nombreux pays africains. Même s’il existe des raisons biologiques expliquant pourquoi la transmission du VIH dans ce groupe d’âge peut être plus efficace de l’homme vers la femme que dans le sens opposé, les raisons biologiques ne peuvent pas seules justifier un écart aussi grand. Plusieurs observateurs ont conclu que les filles de ce groupe d’âge contractent le virus d’hommes plus âgés, dans de nombreux cas, suite à des relations sexuelles consenties afin d’assurer leur survie économique. Une fille kenyane sur cinq affirme que sa première expérience sexuelle se produit sous la contrainte ou n’est pas voulue. Les filles sont plus facilement enlevées de l’école lorsque quelqu’un à la maison est malade du SIDA et ceci est également vrai dans d’autres pays. Les données du Ministère de l’Education montrent qu’après quatre ans d’école primaire dans la province de Nyanza gravement touchée par le SIDA, les filles ne représentent que 6 pour cent des élèves acceptés en cinquième année. Dans la province orientale qui détient le plus faible taux de prévalence du VIH de toutes les provinces kenyanes, 42 pour cent des élèves acceptés en cinquième année sont des filles. Le Secrétaire Permanent du Ministère de l’Education a attribué ces disparités au SIDA et a noté que les filles et les garçons accédaient en cinquième année en nombres à peu près équivalents il y a vingt ans, avant que ne se fasse sentir l’impact de la maladie.
Une récente étude très détaillée conduite par l’organisation non-gouvernementale Population Communication Africa a découvert que sur 72 enfants rendus orphelins par le SIDA, dans l’île de Rusinga, dans l’ouest du Kenya, les filles provenant de familles touchées par le SIDA avaient moins de chance d’être scolarisées que les garçons. Hériter d’une épouse est une pratique en vigueur chez certains groupes du Kenya, en particulier chez les Luo, dans la province de Nyanza, épicentre national de l’épidémie de SIDA. Cette pratique selon laquelle une veuve est offerte en mariage au frère du mari défunt ou à un autre membre de sa famille, offrait traditionnellement une protection à la veuve et à ses enfants qui auraient pu sans cela se retrouver privés du soutien social et économique de la famille. A l’époque du VIH/SIDA, cependant, des responsables gouvernementaux et communautaires ont critiqué l’héritage d’une épouse comme un moyen de propager le VIH. Une étude des familles affectées par le SIDA sur l’île de Rusinga a conclu que “l’héritage d’une épouse … perd de son ancienne popularité due, probablement, au risque d’infection par le SIDA” mais a montré que 77 pour cent des femmes devenues veuves à cause du SIDA se remariaient encore. La moitié d’entre elles passaient en héritage aux frères de leurs maris.
Le premier cas de SIDA a été diagnostiqué au Kenya en 1984 mais des réponses concrètes de la part du gouvernement ne sont arrivées que quelques années plus tard. Le Département pour le Développement International (DFID), le Ministère britannique de l’Aide au développement a souligné que le “Kenya a été notoirement lent à reconnaître son problème avec le VIH/SIDA, à le considérer sans biais ethnique et à faire preuve d’un engagement politique au plus haut niveau.” La première déclaration de politique nationale sur le SIDA s’est produite avec l’adoption, par le gouvernement du Kenya de son Document Parlementaire no. 4, en 1997, qui formulait des recommandations pour la mise en oeuvre d’un programme. En novembre 1999, le Président Moi a déclaré le VIH/SIDA “désastre national”, première déclaration publique d’importance sur le sujet. A cette époque, environ une personne sur neuf sexuellement active était déjà contaminée dans le pays. A peu près au même moment, le gouvernement a établi un Conseil national interministériel de contrôle du SIDA (National AIDS Control Council, NACC) afin de développer des stratégies de contrôle de la propagation de la maladie.
Il est difficile de mettre un montant monétaire sur les dépenses du gouvernement kenyan en matière de VIH/SIDA parce que les programmes financés par le gouvernement, dans de nombreux secteurs, touchent directement ou indirectement la maladie et ses conséquences. Le plus récent plan à moyen terme du gouvernement afin de traiter du VIH/SIDA propose un budget de 30,7 millions USD en fonds gouvernementaux, sur cinq ans. Le gouvernement a récemment rapporté au Parlement kenyan qu’il avait alloué 140 millions de shillings, soit environ 1,87 million USD, à des programmes VIH/SIDA pour l’année fiscale en cours et que le Kenya avait reçu des promesses de financement à hauteur de 7,6 milliards de shillings, soit environ 100 millions USD, de différents bailleurs afin de poursuivre, dans les années à venir, le travail sur le SIDA. Une bonne partie de cette aide devra transiter par les organisations non gouvernementales plutôt que par le gouvernement.
La Banque Mondiale a récemment annoncé un prêt, sous conditions privilégiées, de 50 millions USD sur quatre ans pour combattre le SIDA. L’assistance officielle britannique dans le domaine du VIH/SIDA s’est récemment accrue pour atteindre 550 millions de shillings (7,3 millions USD) pour l’année avec environ 37 millions USD promis pour les cinq années à venir. Alors que les bailleurs étrangers se sont récemment montrés très présents dans le domaine du VIH/SIDA, au cours des dernières années, certains bailleurs et créanciers, notamment le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale, ont retiré leur assistance au Kenya suite à des allégations de corruption et sur la base d’autres préoccupations.