Photo: Diana Segnor, by Ciranda
Après Belém au Brésil en 2009, l’Afrique se prépare activement à accueillir la onzième édition du Forum Social Mondial (FSM) prévu pour se tenir du 6 au 11 février 2011 à Dakar au Sénégal.
La décision d’organiser le FSM à Dakar a été prise en Mai 2009 lors du Conseil international de Rabat qui a tranché entre plusieurs dossiers de candidature dont celui du Niger déposé par Alternative Espaces Citoyens au nom du comité organisateur du Forum Social Nigérien (FSN). Depuis cette date, plusieurs réunions préparatoires ont été organisées dans le pays d’accueil.
Après le séminaire de lancement du processus préparatoire tenu en novembre 2009, Dakar a encore récemment abrité du 27 au 29 juillet dernier 2010, une réunion technique d’approfondissement des discussions sur le contenu du forum, son format et les modalités pratiques d’organisation de l’évènement. Ce second séminaire a permis aux 77 participants venus de tous les horizons de peaufiner les orientations définies par le Conseil International, d’approfondir les axes de travail qui structureront le prochain FSM. En outre, il a été procédé à une évaluation du processus préparatoire en termes de mobilisation sociale, de communication, et de recherche de financement. Le budget prévisionnel de cette 11ème édition a été arrêté à 2. 641. 832.000 F.CFA.
Les séminaristes ont proposé des stratégies visant à faire du retour du FSM en Afrique un événement mémorable. C’est dans cette farouche volonté de réussir qu’il faut inscrire l’organisation par l’Institut Panos Afrique de l’Ouest (IPAO) d’une réunion préparatoire sur la stratégie de communication du Conseil Africain pour le FSM 2011. Organisée deux jours avant l’ouverture du séminaire international, cette rencontre a enregistrée la participation des réseaux de communicateurs africains et des membres de la Commission Communication du Conseil International.
En introduisant les débats, Diana Senghor a indiqué qu’« un des facteurs de réussite du forum de Dakar demeure une bonne campagne d’information et de communication ». Pendant 48 heures, les participants ont enrichi le document de propositions d’une stratégie africaine de communication pour le FSM 2011 présenté par l’IPAO à la demande du Secrétariat du Forum Social Africain (FSA). Ce draft qui contient un planning indicatif d’activités et le cahier de charges de la commission communication, insiste sur la nécessité de diffuser largement l’information sur l’événement dans le monde à travers les supports traditionnels notamment les radios locales, en faisant recours aux langues de grande circulation régionale (Puular, Hausa, Wolof, Bambara, Swahili, Malinké). Cette option a été prise pour donner toute leur place aux radios locales afin de diminuer le poids des médias internationaux qui formatent les opinions africaines sur les enjeux mondiaux et …sur l’Afrique elle-même, souligne le document de l’IPAO.
Les voies et moyens de communication envisagés permettront à une grande majorité des citoyens ordinaires d’être informés et mobilisés pour participer au forum. Les activités proposées visent à accompagner le processus préparatoire, à favoriser une production régulière d’informations de qualité dans les médias, à installer des infrastructures adéquates notamment un centre de presse fonctionnel pour accueillir le contingent des journalistes qui viendront des quatre coins du globe.
Contexte international du FSM
Après Bamako en 2006, Nairobi en 2007, l’Afrique se doit de relever le pari de l’organisation de cette édition qui intervient dans un contexte mondial marqué par des crises multiformes qui attestent de la pertinence de la condamnation à mort du néo-libéralisme économique par les altermondialistes. Le ‘‘concept note’’ provisoire remis aux participants au séminaire préparatoire de juillet 2010 indique clairement que « toutes ces crises sont le reflet de l’essoufflement du système capitaliste dont la crise de légitimité s’approfondit chaque jour un peu plus ».
Le retour du FSM en Afrique peut être interprété comme un message à la fois idéologique et politique. Sur le plan idéologique, les acteurs du FSM semblent lancer un défi au système néolibéral et à ses principaux instruments (Banque Mondiale, Fonds Monétaire International et Organisation Mondiale du Commerce) pour lui signifier sa détermination à l’affronter sur un territoire considéré l’un des maillons faibles dans la résistance aux politiques imposées par les puissances dominantes. Il est aussi perçu comme l’expression d’une solidarité active du mouvement social international avec les luttes des mouvements sociaux et peuples africains. Le mouvement social africain doit saisir l’occasion du FSM 2011 pour mettre l’accent sur ces défis.
Le forum doit être une grande occasion pour intensifier les luttes contre les politiques néolibérales, étant donné que le continent sur lequel il se déroule est la victime des politiques imposées par les Institutions Financières Internationales, sous le fallacieux prétexte de reformes visant à l’insérer dans l’économie mondiale.
Le FSM de Dakar doit contribuer à (re) donner un nouveau souffle au mouvement altermondialiste, pour de multiples raisons. D’abord l’Afrique où il se tient est non seulement le berceau de l’humanité, mais compte aussi une forte population jeune mobilisable qui aspire à un autre monde meilleur.
Ce continent est aussi le lieu où il y a eu le plus de forums nationaux et régionaux ces trois dernières années. Ces dynamiques locales rendent possible une forte participation des populations africaines au forum qui se tiendra pour la première fois dans un pays d’Afrique de l’Ouest francophone facilement accessible par voies terrestre et aérienne. C’est enfin, le continent qui a profondément souffert de l’esclavage et de la colonisation et qui continue à payer un lourd tribut à la mondialisation néolibérale. Le forum à venir est donc une opportunité à saisir pour lapider le cadavre du colonialisme qui cherche à renaitre sous des formes diverses.
L’édition de Dakar qui se tient à quelques encablures de Gorée, endroit chargé d’histoire, sera également l’expression d’une solidarité du mouvement social international avec les luttes des mouvements sociaux, des peuples africains et de la diaspora qui envisagent d’ailleurs de mener quelques activités sur l’île. Une place centrale sera accordée aux groupes sociaux porteurs d’une autre universalité (femmes, migrants, etc.). C’est dire que le FSM 2011 aura une saveur toute particulière, en donnant au monde une autre image du continent, une perception différente de celle véhiculée par les médias occidentaux. En effet, les mouvements sociaux doivent utiliser la tribune de ce FSM pour renforcer leurs luttes contre l’impérialisme, le néocolonialisme et le système libéral en discréditant davantage son idéologie, en remettant en cause ses concepts et valeurs et en contribuant ainsi à aggraver sa crise de légitimité.
Le ‘‘concept note’’ indique clairement que le FSM de Dakar donnera également une grande importance aux relations Sud- Sud parce que l’influence grandissante de certains pays du Sud, les résistances notées en Afrique contre les APE, montrent que les puissances occidentales ne peuvent plus imposer leur agenda au reste du monde.
Axes thématiques du FSM
Du point de vue du contenu, Dakar 2011 abordera plusieurs sujets de préoccupation mondiale. Il s’intéressera prioritairement aux problèmes graves auxquels l’humanité contemporaine est confrontée. Sans être exhaustif, on peut citer le changement climatique, des modes de production trop énergétivores, l’épuisement de certaines ressources naturelles, les déficiences des systèmes de production alimentaires, les conflits résultant de la prétendue guerre contre le terrorisme, etc.
Au stade actuel de la réflexion, le forum se penchera sur les axes thématiques suivants : approfondir la critique du capitalisme, renforcer les luttes et résistances contre le capitalisme, l’impérialisme et l’oppression, construire des alternatives démocratiques et populaires.
Le premier axe thématique sera l’occasion d’aborder des sujets clés liés à l’effondrement du fondamentalisme du marché, à la dette climatique du capitalisme, à la dette illégitime du Sud, à la dette écologique accumulée par le Nord, à la fuite des capitaux et des paradis fiscaux, à la militarisation de l’économie mondiale, à la criminalisation des mouvements sociaux, aux crimes contre les peuples indigènes, etc.
Le second axe offrira une opportunité pour débattre entre autres des possibilités pour étendre les frontières de la résistance contre l’oppression et des luttes contre le capitalisme et les forces de domination. Il sera un espace pour les mouvements sociaux luttant pour la restauration de la souveraineté des peuples sur leurs ressources et la démocratisation de l’accès à ces richesses. Les discussions qui seront engagées autour de cette thématique toucheront à des thèmes relatifs au procès de 50 ans de néocolonialisme en Afrique, aux luttes menées pour s’opposer aux plans de guerre de l’impérialisme, aux résistances contre les privatisations et la marchandisation de l’eau de la planète, aux initiatives pour la sauvegarde de l’agriculture paysanne et la souveraineté alimentaire, aux liens entre la faillite du capitalisme dans les périphéries et les flux migratoires, aux défis posés au mouvement social mondial par la faillite du néolibéralisme, au rôle du FSM dan ces luttes etc.
Quant au troisième axe, il sera centré sur la construction des alternatives démocratiques et populaires en réponses aux crises multiformes qui menacent dangereusement l’avenir de l’humanité. A ce niveau, le défi pour les mouvements sociaux lors du FSM est de trouver des stratégies appropriées pour faire échec au projet hégémonique des pays de la Triade et d’aller au delà de la critique du capitalisme en proposant des alternatives réelles au système actuel. Dans cette optique, ils devraient échanger sur les possibilités d’alliances avec les forces politiques et les Etats opposés au système néolibéral en s’inspirant des expériences en cours dans le laboratoire latino américain, où certains pays dirigés par des gouvernements de Gauche sont engagés dans des batailles décisives contre la domination de l’impérialisme international.
En plus, le prochain FSM doit s’efforcer de réhabiliter la politique et la démocratie qui, aujourd’hui, sont vidées de leur contenu par le pouvoir donné aux IFI. Les débats sur cette thématique donneront l’occasion de réfléchir aux questions clés sur d’autres modèles de production de richesses, au contenu des transformations économiques et sociales à réaliser, aux sources innovantes de financement du développement, aux réparations pour la Diaspora et les peuples indigènes, au rapatriement des biens mal acquis, à l’avenir du forum lui-même.
Ces axes proposés par la Commission Contenu, Stratégie et Méthodologie du Comité d’organisation local ont été enrichis par les participants au deuxième séminaire préparatoire.
Lors du séminaire, les participants ont discuté également de la méthodologie du FSM qui reposera sur les acquis des éditions antérieures tout en introduisant des innovations majeures qui pourraient rendre plus visibles les luttes se déroulant sur tous les fronts.
En 2011 aussi, les activités autogérées occuperont l’essentiel de l’agenda du forum pour la bonne raison que Dakar veut donner une plus grande visibilité aux luttes menées par les peuples originaires et ou autochtones. Des espaces appropriés et des facilités seront accordés à ces groupes pour leur permettre de mener librement leurs activités. Une place de choix sera accordée aux activités visant à renforcer la solidarité entre les mouvements sociaux africains et la Diaspora à travers l’organisation des séminaires et des tables rondes conjoints.
La culture sera promue comme un instrument de conscientisation politique et de mobilisation sociale. Pour ce faire, au niveau du Sénégal, le comité local d’organisation a approché plusieurs artistes de renom (Didier Awadi, Ismaël Lo, Baaba Maal, Coumba Gawlo Seck, Youssouf Ndour) dont certains ont déjà accepté de s’impliquer dans le processus de mobilisation.
Comme à l’accoutumée, le FSM 2011 démarrera le 6 février par une manifestation inaugurale. La journée du lendemain est dédiée à l’Afrique avec un focus d’activités sur les questions de migrations et de Diaspora. Les troisième et quatrième journées seront consacrées aux activités auto-organisées. Le 10 février sera marqué par des activités de convergences thématiques et la dernière journée sera consacrée aux convergences globales et luttes partagées.
Défis de l’organisation
Depuis la validation du choix de Dakar, la question qui brûle toutes les lèvres est celle de savoir si l’Afrique sera à la hauteur des défis de la mobilisation sociale et de l’organisation logistique. Une interrogation légitime quand on se souvient que l’édition de Nairobi a fait triste mine.
A l’étape actuelle de la préparation, l’optimisme reste de mise quant à la réussite du forum, même si le défi de la mobilisation des ressources financières reste entier. Bien que l’argent manque cruellement, au pays de la « Teranga », chacun se prépare à sa manière à vivre intensément l’événement. Alors que six mois nous séparent de Février 2011, une partie de la presse locale s’est déjà lancée dans la campagne pour attirer le maximum de sénégalais et d’africains vers Dakar. L’objectif est de rééditer l’exploit de Belem qui a rassemblé selon les estimations plus de 100.000 activistes ou, tout au moins, de faire oublier l’échec de Naïrobi. Dans cette optique, le séminaire préparatoire a retenu le principe de l’organisation des caravanes thématiques qui a été expérimenté lors de la cinquième édition du forum social africain de Niamey. Il a adressé une lettre collective aux membres du Conseil International du FSM absents à Dakar pour leur demander de s’associer dès à présent à la mobilisation pour faire du prochain forum un succès.
Conscients de l’ampleur de la tâche, les organisateurs travaillent d’arrache-pied pour faire de cette rencontre en terre africaine une manifestation populaire. Avec moins de moyens financiers. Au niveau local, le comité sénégalais qui a pris ses quartiers au centre Bob s’est structuré en plusieurs commissions qui ont réalisé un travail fort appréciable.
Au niveau du pays d’accueil, on s’attend aussi à une forte affluence des étudiants qui viendront grossir les rangs des bénévoles, car l’essentiel des activités se dérouleront à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) qui dispose d’innombrables infrastructures pour accueillir la quasi-totalité des conférences plénières, ateliers thématiques et autres manifestations. Le campus de l’UCAD peut éventuellement accueillir des hébergements militants pour les participants les moins nantis, car le comité organisateur compte acquérir des tentes en Mauritanie. Dans cette optique, le coordonnateur du forum social sénégalais, Mignane Diouf s’est rendu à Nouakchott pour explorer cette possibilité et porter le message de la tenue du FSM 2011.
Avant de quitter la capitale sénégalaise, les participants au séminaire préparatoire ont eu droit à une visite guidée de l’UCAD pour évaluer les infrastructures existantes et déterminer les lieux des événements phares. Au coucher du soleil, ils ont effectué en bus l’itinéraire de la marche d’ouverture qui partira de la place de l’Obélisque vers le campus universitaire en passant par la RTS, le quartier de la Médina et la Corniche.
Mobilisation vers Dakar
Avant février 2011, d’autres manifestations sociales importantes seront organisées à travers le monde pour assurer une forte mobilisation vers Dakar. Du 8 au 12 Octobre prochain, Quito (Equateur) accueillera le quatrième Forum Social Mondial des Migrations. La route vers Dakar passera également par Niamey qui abritera du 16 au 18 octobre, un Forum Social Mondial thématique sur la souveraineté alimentaire, l’environnement et les questions migratoires.
En Palestine, il sera organisé du 28 au 31 Octobre dans les villes de Gaza et Ramallah, un Forum Mondial de l’Education (www.wef-palestine.org), un espace de dénonciation des pratiques d’occupation israéliennes contre les Palestiniens en général et contre leur éducation en particulier.
Ce forum appuyé par Alternatives International, Réseau Initiatives Pour un Autre Monde (IPAM), la Fondation Frantz Fanon, le CCFD, etc. ne sera pas seulement une démonstration de solidarité envers la Palestine. Il va être l’occasion de célébrer le pouvoir de l’Education comme instrument d’une conscience critique citoyenne, et de libération des populations de l’oppression. Environ 5000 Palestiniens et 500 participants internationaux sont attendus au FME.
La mobilisation vers Dakar fera escale au Nigeria qui envisage son Forum Social en début novembre 2010. Les 5, 6 et 7 novembre, Dakar abritera un séminaire de l’Assemblée des mouvements sociaux, lieu où s’élabore un agenda commun d’actions et de mobilisations.
Toujours dans la foulée de cette préparation, le Sénégal accueillera du 10 au 31 décembre 2010, la troisième édition du festival mondial des arts nègres. Placé sous le thème « De la Renaissance africaine », cet événement culturel poursuit plusieurs objectifs : interroger le patrimoine culturel, matériel et immatériel du monde noir ; réaffirmer le rôle des artistes et des intellectuels dans la renaissance africaine ; promouvoir une meilleure protection et une large diffusion des œuvres artistiques et culturelles du monde noir ; célébrer l’identité et la créativité intellectuelles, artistiques et littéraires des acteurs d’Afrique et de la Diaspora ; etc.
Quant à l’édition du Forum Social Ouest Africain prévue à Ouagadougou avant la fin 2010, elle a été annulée à l’issue d’une concertation entre les délégués des pays concernés présents à Dakar.