Photo : Niv Hachlili – Jérusalem-Est, où les élèves se retrouvent dans des classes surchargées, ou pas de classes du tout.
Exprimant son soutien au projet de loi controversé sur le serment à la loyauté – une législation qui va exiger de tout non-juif qu’il prête serment d’allégeance à Israël « en tant qu’Etat juif et démocratique » -, Benjamin Netanyahu, Premier ministre israélien, a dit : « Le sionisme a créé un Etat national exemplaire, un Etat qui garde l’équilibre entre les besoins nationaux de notre peuple et les droits individuels de chaque citoyen du pays ».
Mais un coup d’œil sur le système éducatif israélien nous offre une image bien différente.
Rawia Aburabia, avocate de l’ACRI (Association pour les droits civils en Israël) relève que les écoles fréquentées par les citoyens palestiniens d’Israël manquent de « 9 000 classes, 300 fonctionnaires (pour renforcer l’assistance scolaire), 200 psychologues et 250 conseillers pédagogiques ».
En conséquence, le pourcentage des abandons chez les citoyens palestiniens d’Israël est quasiment le double de celui chez les juifs. Les classes dans le système scolaire arabe ont également plus d’élèves que celles fréquentées par les juifs – cela veut dire un temps d’instruction plus réduit par étudiant, plus de problèmes de discipline et un taux plus faible de réussite.
« Dans le Néguev, la situation est catastrophique, » dit Aburabia. « Il y a 37 villages (bédouins) non reconnus, sans lycées, et tout juste avec des écoles primaires. 80 000 personnes vivent dans ces villages. »
Là, le taux des abandons dépasse les 40%, en partie, explique Aburabia, « parce que pour aller au lycée, il leur faut marcher pendant des kilomètres avant de rejoindre la route nationale. »
Confrontés à des obstacles énormes pour s’instruire, les Bédouins ne se sont que 2% à aller à l’université. Selon un rapport publié par Sikkuy, une ONG arabo-juive qui milite pour l’égalité, il n’en va guère mieux pour la population arabe d’Israël prise globalement : un peu plus de 3% entrent à l’université, à comparer aux 9% de juifs.
Si Israël était effectivement un Etat où tous les citoyens étaient traités à égalité, dit Aburabia, « Je ne pense pas qu’il me faudrait aller devant la Haute Cour de justice pour demander que le ministère de l’Education comble l’écart des 9 000 classes. »
« Frustration et désespoir »
Le gouvernement israélien est bien conscient des disparités énormes entre les deux systèmes scolaires, dit Yousef Jabareen, directeur du Centre arabe pour le droit et la politique, Dirasat.
« Une grande partie des statistiques émanent du gouvernement lui-même » dit Jabareen.
Et il y a plus de dix ans, Zvi Zameret a rédigé un rapport gouvernemental détaillant les nombreux décalages entre les écoles arabes et les écoles juives. « La qualité moyenne de l’enseignement dans le secteur arabe israélien est plus faible que dans la plupart des écoles juives, » y écrivait-il.
Zamaret continuait : « Les ressources allouées à l’éducation arabe ne répondent pas à la croissance de la population. Les écoles arabes – plus que tout autre secteur de l’éducation – souffrent d’un manque de salles de classe et de salles de mauvaise qualité. »
Dans le rapport, Zameret le reconnaissait, « il existe une disparité entre le système d’éducation arabe et le système d’éducation juif. »
Mais plus de dix ans plus tard, les mêmes écarts perdurent. Et Zameret, aujourd’hui président du secrétariat pédagogique, va de l’avant avec un projet de révision des manuels civiques, qui vise à faire retirer des phrases comme : « Depuis sa création, l’Etat d’Israël s’est engagé dans une politique de discrimination contre les citoyens arabes. »
Que l’Etat, à la fois, admette les problèmes qui harcèlent le système éducatif arabe et les ignore, crée « un sentiment de frustration et de désespoir », dit Jabareen.
Autre sujet de confrontation, les zones de priorité nationale (NPA) à propos desquelles Jabareen note : « Si cela n’est pas clairement une discrimination sur la base ethnique, alors je ne sais vraiment pas ce qu’est la discrimination ».
Connue sous le nom de carte des priorités nationales, et établie en 1998, elle retient 533 villes et villages pour des incitations économiques et éducatives. Bien que les citoyens palestiniens d’Israël représentent 20% de la population – et qu’ils soient surreprésentés dans les niveaux socio-économiques les plus bas -, sur les 533 NPA, il n’y a que 4 villages arabes.
Profondément préoccupés à propos de l’impact de ces NPA sur le financement de l’éducation, Adalah – organisation des droits de l’homme et centre de conseils juridiques pour les Palestiniens vivant à l’intérieur de la Ligne verte, comme dans les Territoires occupés – a traduit l’Etat d’Israël devant les tribunaux. En 2006, un jury de sept juges de la Cour suprême a décidé que les NPA constituaient une discrimination illégale et ordonné que l’Etat les modifie.
Mais non seulement l’Etat a circonvenu à la décision de la Haute Cour, mais il a étendu la carte des priorités nationales à six colonies illégales de Cisjordanie. Les colons juifs représentent à peine la moitié des citoyens palestiniens d’Israël. Et en général, ils sont plus riches.
La « cinquième colonne » d’Israël
S’agissant des écarts entre les systèmes éducatifs juifs et arabes d’Israël, Gabi Salomon, professeur à l’université de Haïfa et co-directeur de Sikkuy, remarque : « Je ne pense pas qu’il y ait la moindre mauvaise intention derrière cela. »
La négligence, explique Salomon, vient que l’on considère les citoyens palestiniens d’Israël « comme une cinquième colonne potentielle à laquelle on ne peut faire trop confiance et sur laquelle on ne peut guère compter ».
Ainsi, de nombreux Israéliens juifs pensent qu’« il n’y a aucune nécessité absolue à partager les revenus fiscaux avec eux, » dit Salomon. « Le sentiment, c’est, “pourquoi auraient-ils besoin de tout ce dont les juifs ont besoin ?” ».
Ce sentiment est net à la fois s’agissant de la répartition inégale des allocations que de l’attitude à l’égard des élèves.
Un récent sondage réalisé par un professeur de l’université de Tel Aviv, Camil Fuchs, révèle que 50% des adolescents juifs ne veulent pas d’Arabes dans leurs classes. Et alors que près des deux tiers des personnes interrogées reconnaissent que les citoyens palestiniens d’Israël n’ont pas des droits égaux, 59% n’y voient aucun inconvénient.
Les écarts sont aussi perpétués par le fait que les citoyens palestiniens d’Israël ne sont pas représentés au ministère de l’Education. Même le directeur de l’éducation arabe et islamique est juif.
« Une représentation juste est très importante pour protéger les intérêts de la minorité, » dit Sawsan Zaher, avocat d’Adalah. « Et il n’y a pratiquement aucun professionnel arabe dans le processus de prise de décisions. »
Zaher ajoute qui ceux qui aspirent à entrer dans les effectifs du ministère de l’Education doivent être porteurs d’une certaine idéologie. Par exemple, Adalah a récemment appris que « des valeurs positives envers l’Etat juif » étaient l’une des exigences requises pour obtenir un poste de statut supérieur.
Pour Zaher, un tel critère montre l’existence d’une sorte de « police de la pensée ».
Dans le passé, le ministère de l’Education a aussi effectué des enquêtes sécurité sur les Arabes qui postulaient à des emplois de proviseurs.
Après contestation d’Adalah devant la Haute Cour, celle-ci a décidé d’annuler cette politique de bas niveau. « Mais je suis conscient que, officieusement, ils poursuivent leurs enquêtes, » dit Zaher, ajoutant : « Vous ne pouvez devenir proviseur que si vous êtes conforme à la mentalité et à la politique de l’Etat. »
« Finalement, tout est lié à (l’idée d’Israël comme) l’Etat juif, » réfléchit Zaher. « Vous ne pouvez rien apprendre sur la Nakba, parce c’est un Etat juif. Vous n’obtenez pas de financement parce que vous n’êtes pas juif. Vous n’êtes nommés que si vous êtes loyal envers l’Etat. »
13 octobre 2010 – Mya Guarnieri – Al Jazeera – traduction : JPP