La télévision israélienne a récemment présenté une vidéo où l’on voyait deux soldats se filmant mutuellement en train de tirer, tout en rigolant, sur un manifestant palestinien à la frontière de Gaza. Filmer ses propres crimes contre l’humanité – faire du tir sur les Palestiniens un sport – laisse transparaître le sentiment de sécurité de qui n’a jamais été tenu pour responsable.
On trouve une preuve encore plus grande de cette impunité dans Rise and Kill First : The Secret History of Israël’s Targeted Assassinations du journaliste israélien chevronné Ronen Bergman, rédacteur attitré de The New York Times Magazine.
Les procureurs de la Cour Criminelle Internationale pourraient vouloir considérer ce livre comme pièce à conviction N°1 si jamais le gouvernement et les responsables militaires israéliens étaient poursuivis pour crimes de guerre. Il contient des reconnaissances manifestes de culpabilité dans la préparation et l’exécution d’assassinats extrajudiciaires en violation du droit international.
« Depuis la Deuxième Guerre Mondiale, Israël a assassiné plus de gens qu’aucun autre pays dans le monde occidental », écrit Bergman. Dans beaucoup de cas, au cours des deux dernières décennies, ces dits assassinats ciblés ont entraîné aussi la mort de près de 1000 passants, selon les calculs de Bergman – ces chiffres cependant n’incluent pas les dizaines de milliers de tués dans des actes évidents de guerre et de punition collective qui, pour la plupart, ne sont pas mentionnés dans ce livre.
Que les responsables israéliens aient été d’accord pour être cités et pour identifier d’autres par leur nom implique la certitude de n’être jamais tenus pour responsables dans une cour de justice. Considérez par exemple l’instruction donnée par l’ancien premier ministre Ariel Sharon à Avi Dichter, à l’époque directeur du Shin Bet. Sharon, reconnaissant ouvertement son intention de commettre un génocide, a déclaré : « Allez-y. Tuez-les tous. »
Il ne s’agissait pas que d’assassinats. Bergman écrit : « La ‘sécurité de l’État’ a servi à justifier un grand nombre d’actions et d’opérations qui, dans le monde visible, auraient été soumises à des poursuites judiciaires et de longues peines de prison : la constante surveillance des citoyens à cause de leur affiliation ethnique ou politique ; les méthodes d’interrogatoire comportant de la détention prolongée sans sanction judiciaire et de la torture ; de faux témoignages au tribunal et la dissimulation de la vérité aux avocats et aux juges. »
Rise and Kill raconte en détail la longue histoire de l’assassinat politique israélien, qui remonte au mandat britannique sur la Palestine. Elle comprend la période des dites Guerres Frontalières (terme utilisé par l’historien Benny Morris dans son livre Les Guerres Frontalières d’Israël, 1949-1956), la création de l’Organisation de Libération de la Palestine dans les années 1960, l’invasion israélienne et l’occupation du Liban dans les années 1970, la première et la deuxième intifadas dans les territoires occupés, qui ont commencé dans les années 1980, et les campagnes militaires incessantes contre le Hezbollah, la Syrie et l’Iran (le soi-disant Front Radical) qui se poursuivent aujourd’hui.
Au cours des décennies, les assassinats se sont sans cesse intensifiés, en partie à cause des progrès de la surveillance due à la technique des drones et des ordinateurs qui permettait aux agences de renseignement de mener des centaines d’opérations par an contre seulement quelques unes auparavant.
« Dommages collatéraux »
Le titre du livre provient du commandement talmudique qui dit qu’une personne a le droit de « se dresser et de tuer en premier » à titre préventif.
Ce concept a constitué le fondement, et moral et juridique, de la politique que de nombreuses associations de défense des droits de l’Homme considèrent comme non valable selon le droit international, parce qu’une exécution sans procès est une parodie de justice et efface la différence entre combattants et civils. Beaucoup de victimes étaient des personnes politiques ou même religieuses, très vraisemblablement non impliquées dans la planification d’attaques contre Israël, affirme Bergman.
La Haganah – précurseur paramilitaire de l’armée israélienne – a défini les assassinats comme des « opérations terroristes personnelles » visant les leaders du mouvement national palestinien. Après 1948, toutes les agences de renseignement d’Israël, dont le département du renseignement militaire Aman, le Mossad et le Shin Bet ont été impliqués dans des assassinats extrajudiciaires.
La politique d’assassinats a permis le meurtre de Palestiniens et autres Arabes, simplement parce qu’ils appartenaient à la résistance contre le colonialisme de peuplement israélien.
Les personnes tuées pour se venger de la prise d’otages et de la mort des athlètes israéliens aux Jeux Olympiques d’été à Munich en 1972, par exemple, prouvent que le renseignement israélien a pris les leaders ou les représentants de l’Organisation de Libération de la Palestine, et pas ceux directement impliqués dans le groupe de Septembre Noir qui avait planifié l’enlèvement. Le Palestinien Wael Zuaiter, qui traduisait Les Mille et Une Nuits de l’arabe en italien, alors qu’il vivait à Rome et faisait fonction de représentant local de l’OLP, fut l’une des victimes de l’assassinat , de même qu’un serveur marocain non identifié vivant à Lillehammer en Norvège.
Qu’un code raciste ait existé est indéniable, surtout si l’on tient compte de la distinction que faisaient les responsables israéliens du renseignement selon que le « dommage collatéral » concernait des Arabes ou des non-arabes : si des passants ou les membres d’une famille arabes risquaient d’être tués, l’opération avait quand même vraisemblablement son feu vert ; si des passants non-arabes risquaient la mort, il fallait l’éviter. Comme le note Bergman, « tant que les cibles se trouvaient en pays ennemi, et tant que les civils innocents étaient arabes, le doigt était rapide sur la gâchette ».
Le gouvernement et les responsables du renseignement israéliens ont même projeté d’abattre des avions commerciaux dans l’espoir d’assassiner des chefs de l’OLP. Même si ce projet n’a jamais été réalisé, les responsables israéliens avaient mis au point un plan élaboré pour abattre ce genre avion dans des zones hors de portée des radars au-dessus de la Mer Méditerranée afin que la découverte de l’épave soit plus difficile et le crime plus facile à dissimuler.
Des récits ont décrit un incident isolé raconté en détail par Bergman, dans lequel le naufrage d’un avion, dont on croyait qu’il transportait le président de l’OLP Yasser Arafat, a été « évité de justesse en 1982. L’avion transportait des enfants palestiniens blessés et Arafat n’était pas à bord.
Rater la cible
Une grande part des révélations de Bergman sont si choquantes qu’on se demande pourquoi un journaliste israélien apparemment loyal les présenterait. Mais il est presque le premier reporter à tenter l’aventure de l’exposition des secrets des agences de renseignement, même s’ils ternissent l’image soigneusement cultivée de l’État.
La raison en est que, généralement, les crimes documentés représentent des « fautes » qu’avec un peu de chance, l’exposé corrige sans fondamentalement mettre en cause la nature de l’État qui les commet. Ce genre journalistique rate largement sa cible. Les agences de renseignement ne collectent pas des informations pour protéger la sécurité de l’État, mais sont plutôt des acteurs secrets occupés à mettre en place les ambitions hégémoniques de l’État par tous moyens nécessaires.
Les agences de renseignement protègent leurs secrets. Seul un journaliste exceptionnel peut les dénicher grâce à une enquête assidue.
Le plus souvent, des responsables du renseignement ou du gouvernement laissent fuir eux-mêmes des secrets à cause de désaccords politiques, scissions entre factions dirigeantes ou ambitions politiques. Bergman reconnaît ce fait et déclare clairement que sa principale source a été feu Meir Dagan, général d’armée qui était devenu chef du Mossad sous les premiers ministres Ariel Sharon, Ehud Olmert et Benjamin Netanyahu.
Malheureusement, Bergman n’est guère plus qu’un transcripteur, n’ajoutant qu’une ébauche d’analyse ou d’arrière-plan historique. Par exemple, le projet secret de Dagan d’assassiner les savants nucléaires iraniens n’est cité que comme une méthode préférable à une action militaire au grand jour pour mettre fin au prétendu programme iranien d’armement nucléaire. Les négociations diplomatiques, qui ont abouti à un accord international et à un régime d’inspections rigoureuses pour le programme nucléaire de l’Iran, sont tout bonnement ignorées.
Ce livre a encore de nombreuses autres faiblesses, entre autres en négligeant les efforts des organisations israéliennes de défense des droits de l’Homme pour mettre fin aux assassinats extrajudiciaires et à la construction d’un récit israélien de telle sorte qu’il omette les nombreuses actions de punition collective menées contre le peuple palestinien depuis 1948. Dqns ses 784 pages, les mots « punition collective » ne figurent qu’une seule fois en référence à la démolition d’une maison.
Aucune référence à Deir Yassine et aux dizaines d’autres massacres qui ont eu lieu pendant la Nakba de 1948-49, le massacre de Khan Younis en 1956, les nombreuses provocations militaires qu’Israël a conduites dans les Hauteurs du Golan syrien avant la guerre de 1967 et les violations flagrantes par Israël des cessez-le-feu avec le Hamas à Gaza en 2008, 2012 et 2014 après la mort de milliers de personnes, dont des enfants.
Extradition et torture
A son crédit cependant, Bergman décrit les similitudes entre les agences de renseignement israéliennes et américaines, y compris le recrutement de journalistes en tant qu’espions, l’installation d’organisations en trompe l’oeil pour interférer dans d’autres pays, la collaboration avec d’ex-nazis et l’aide à l’identification de militants politiques de gauche sous des régimes autoritaires afin qu’ils soient torturés ou assassinés.
L’unité 504 d’Aman, qui s’est engagée dans des enlèvements, a anticipé le programme d’extradition et de torture qui a suivi les attaques du 11 septembre 2001. Et Bergman explique clairement que, et l’ancienne Secrétaire d’État Condoleeza Rice et le Conseiller en Sécurité nationale Stephen Hadley, tous les deux sous les ordres du président George W. Bush, ont approuvé et soutenu la politique israélienne d’assassinats.
En fin de compte, la croyance en l’efficacité des exécutions extrajudiciaires repose sur l’idée que ce sont les individus, et pas les forces sociales, qui font l’histoire : Eliminez une seule personne et l’histoire est changée. Après l’assassinat d’un chef du Hezbollah, Bergman rapporte que certains membres du renseignement israélien en sont venus à reconnaître que « le Hezbollah n’était pas la force de guérilla d’un seul homme – c’était un mouvement… un mouvement social populaire légitime ».
Bergman affirme théâtralement que les agences de renseignement israéliennes, en étant venues à réaliser la puérilité d’une politique d’assassinats contre la résistance palestinienne, adoptent la solution à deux Etats, les laissant en porte-à-faux (bien que « tranquillement ») avec le gouvernement actuel de Netanyahu. Dagan, en particulier, semble avoir été motivé, par une faille avec Netanyahu sur son opposition à un Etat palestinien, à laisser filer quelques-uns des secrets les plus préjudiciables d’Israël.
La probabilité finalement d’un Etat binational si la solution à deux Etats échouait, était une issue que Dagan craignait plus que quoi que ce soit d’autre. Dans l’une de ses dernières remarques lors d’un rassemblement politique israélien, Dagan a expliqué ses inquiétudes : « Je ne veux pas d’un Etat binational. Je ne veux pas gouverner trois millions d’Arabes. Je ne veux pas que nous soyons les otages de la peur, du désespoir et d’une impasse. »
Après avoir lu Rise and Kill First, on se demande : Si Dagan avait vécu, aurait-il ordonné l’assassinat de ceux qui prônaient un Etat binational démocratique ?
Rod Such est un ancien rédacteur des encyclopédies World Book et Encarta. Il vit à Portland, Oregon, et milite dans la campagne de Portland pour la libération de l’occupation.
Traduction : J. Ch. pour l’Agence Média Palestine
Source : The Electronic Intifada