Après une campagne électorale marquée par l’assassinat de plusieurs candidats, quatorze Etats mexicains votent ce dimanche 4 juillet, pour élire un nouveau gouverneur. C’est le cas de l’Etat de Oaxaca, dans le sud est du pays, où est arrivée une Commission internationale de communication et observation des droits de l’homme. Universitaires, activistes et journalistes en provenance du Brésil, d’Argentine, d’Uruguay, de la Suède, d’Espagne, d’Italie et du Mexique, chargés de diffuser des informations sur les élections dans l’un des Etats les plus pauvres du Mexique, où 35 pour cent de la popolation est indienne. Et où, pour la première fois après 80 ans de règne du Parti de la révolution institutionnelle (Pri), se profile l’alternance en faveur de la Coalition pour la paix et le progrès, qui réunit le parti de gauche Prd, le parti de droite Pan, le parti communiste Pt et le parti de centre gauche Convergencia, guidée par le candidat Gavino Cue.
Oaxaca a été le théâtre en 2006 d’une révolte populaire qui dura six mois et au cours de laquelle vit le jour l’Assemblée populaire des peuples de Oaxaca (Appo), un mouvement des mouvements. Sa principale revendication, la destitution du gouverneur Ulises Ruiz, resta sans suite à cause d’un accord entre le Pri et le Pan pour permettre au candidat Felipe Calderon de s’installer sur le fauteuil présidentiel. Six ans plus tard, le rendez-vous électoral de Oaxaca est d’autant plus important que beaucoup d’analystes y voit le début de la course aux présidentielles de 2012. Selon Gustavo Esteva, « ces élections sont la dernière possibilité d’une insurrection pacifique et démocratique. Si on la laisse passer, la guerre civile devient un risque réel ».
Les électeurs sont appelés à voter également pour renouveler les municipalités et les députés du Congrès local, deux blocs s’affrontent: le Pri d’Ulises Ruiz, qui avec la coalition « Pour une transformation de Oaxaca » soutient le candidat Magana et a mis en oeuvre une campagne basée sur la peur, pariant sur une forte abstention, et la coalition « Pour la paix et le progrès », qui espère au contraire une participation électorale d’au moins la moitié des électeurs, pour limiter le risque de truquage des élections et ôter au Pri son dernier bastion.
L’idée d’une Commission est née durant le Forum social mondial thématique qui s’est déroulé fin mai à Mexico City, au cours duquel les participants avaient déjà organisé une caravane de solidarité à Oaxaca, en réponse à l’agression subie par une autre caravane de solidarité. Le 27 avril dernier, Beatriz Carino, une activiste mexicaine qui faisait partie de l’association Cactus, et Tyri Antero Jaakola, membre d’une Ong finlandaise et observateur international ont été assassinés dans la Région Triqui, alors qu’ils essayaient de rejoindre San Juan Copala.
Depuis leur arrivée dans la capitale de l’Etat de Oaxaca, les membres de la Commission ont eu un emploi du temps chargé. Au cours des rencontres avec des candidats et responsables du Prd, du Pt, de Convergencia e du Pan, les interlocuteurs de la Commission ont répété leur inquiétude face au scénario post-électoral: l’opinion générale est qu’il sera violent, quel que soit le résultat sortit des urnes. Tous ont en effet répété que le Pri n’abandonnera pas le pouvoir sans désordres.
« Depuis le début de la campagne – rappelle Amador Jara (Prd) – il y a un affrontement constant, parfois armé, pour le contrôle de l’Etat ». C’est cette tension qui, selon la députée sortante et candidate du Prd Guadalupe Rodriguez Ortiz « a convaincu les partis de droite et de gauche à s’allier. Notre objectif est l’alternance. Mais nous savons que la transition sera difficile. Le Pri a de nombreux intérêts à défendre et dispose depuis des années de bandes de criminels armés». Flavio Sosa, candidat du Pt et membre de la Appo, qui participa activement à la révolte de 2006 et fut emprisonné pendant un an et demi «on assiste à une criminalisation des mouvements sociaux. Le terrorisme d’Etat continue à Oaxaca et certains ont choisi de semer la terreur ». Selon Benjamin Roble Montoja, le coordinateur du groupe parlementaire de Convergencia, penser que les élections se déroulent sans fraudes serait « ingénu ». « Notre coalition – explique Roble – a fait du bruit au niveau national, mais ici nous sommes dans une situation qui ressemble au Mexique des années trente, en ce qui concerne le malgouvernement. Si bien que nous nous préparons à recourir à la justice car nous savons que les résultats des élections seront certainement truqués ou contestés ». Un avis partagé par Dagoberto Correno Gopar, coordinateur législatif du Pan au Congrès local, qui a souligné les nombreuses violations de la loi électorale commises par le parti au pouvoir à Oaxaca avant même les élections. Le Pri, malgré plusieurs sollicitations, n’a pas reçu la Commission.
Une délégation de parlementaires européens, arrivés à Oaxaca pour s’entretenir avec le gouverneur sortant Ulises Ruiz (Pri) du respect des droits de l’homme à San Juan Copala et dans le reste de l’Etat, sont repartis dans la nuit du 2 juillet. Sans être reçu par Ruiz, qui les a accusés d’être des émissaires de Gavino Cue. Quelques jours plus tôt, le 30 juin, la liste des victimes s’est allongée: le président de la municipalité et le maire de Santo Domingo de Morelos, tous deux enseignants et membres de la section 22 du syndicat, ont été assassinés.
Outre la visite des sièges de campagne des candidats et des partis, la Commission s’est également rendue dans plusieurs sections, dans la capitale et dans les municipalités de Zachilla, San Antonino, Xoxo, Santa Lucia del Cammino. À chaque visite, les membres des partis en campagne électorale ont fait part des pratiques frauduleuses auxquelles il ont été confronté, à commencer par l’achat de votes. À San Juan del Progresso, la Commission a rencontré des habitants qui s’opposent à l’ouverture d’une mine d’argent et d’or, et où l’on enregistre plusieurs cas d’agressions, le président de la municipalité – favorable à la mine – a été tué, un prêtre qui appuie le mouvement des habitants, padre Martin, a été agressé et emprisonné, d’autres opposants à l’exploitation de ressources naturelles de San Jose del Progresso sont également en prison. Dans la capitale de l’Etat, où jusqu’au 2 juillet le Zocalo – la place centrale de la ville – était occupé par 7000 enseignants de la section 22 du syndicat, la Commission a rencontré Jose Alfredo, coordinateur de la Région Valls Central.
L’occupation simultanée dans les capitales des sept autres régions de Oaxaca a été suspendue, car le syndicat, dont la principale revendication depuis 2006 est la démission d’Ulises Ruiz, s’est porté garant du respect du vote popolaire. Mais elle pourrait recommencer très vite.