Avec 23 milliards de dollars, il s’agit du plus grand investissement privé jamais réalisé en Afrique. C’est le géant français Total qui est l’opérateur de ce projet gazier sans précédent au Mozambique, où des réserves importantes d’hydrocarbures ont été découvertes récemment. Dans l’une des régions les plus pauvres du monde, en proie à des violences extrêmes, la France est bien décidée à ce que ces ressources naturelles profitent d’abord à ses multinationales. Entre diplomatie économique, financement public et présence militaire renforcée, l’ONG Les Amis de la Terre dénonce le soutien du gouvernement français à un projet qui enlise la planète dans la crise climatique tout en attisant les tensions dans la région.
En dépit d’une résurgence des violences sur place, de la pandémie qui touche de plein fouet la région et de l’effondrement des prix du gaz, le groupe pétrolier français Total poursuit la réalisation de son projet au Mozambique. Avec 26,5% de participation, l’entreprise en est le premier investisseur, devant l’américain ExxonMobil, l’italien ENI ou encore certaines banques privées comme le Crédit Agricole et la Société Générale. Tous espèrent pouvoir débuter l’exploitation des ressources naturelles dès 2022.
Une région embrasée par les violences
C’est au début des années 2010 que les prospecteurs découvrent les immenses réserves sous-marines de gaz au large des côtes du Mozambique. Estimées à plus de 5000 milliards de mètres cubes, elles constituent les 9e plus grandes réserves gazières au monde. De quoi attiser l’intérêt des grands groupes énergétiques, qui projettent d’investir au minimum 60 milliards de dollars dans les prochaines années pour exploiter ces ressources énergétiques fossiles. L’ONG Les Amis de la Terre, qui vient de publier un rapport dénonçant les activités des multinationales et de l’État français dans la région, note que cette somme correspond à cinquante fois plus que les fonds récoltés par les Nations Unies pour reconstruire le pays après le passage des récents cyclones qui l’ont ravagé.
Ces réserves gazières sont situées au nord du pays, dans la province du Cabo Delgado. Les plages de sable fin et le potentiel des gisements avaient contribué au développement du tourisme dans la région jusqu’à ce qu’en 2017, des milices qualifiées de terroristes lancent une première attaque. Ce qui passait au départ aux yeux de l’État du Mozambique pour une querelle interne à la communauté musulmane dans un pays majoritairement chrétien est devenu trois ans plus tard une véritable guerre civile.
Une paupérisation accrue de la population
Dans une région longtemps délaissée par un gouvernement autoritaire, les problèmes économiques et sociaux se sont encore accrus suite aux activités des multinationales dans la zone, qui privent une partie de la population de ses moyens de subsistance. L’arrivée en grande pompe de l’ultralibéralisme mondialisé au Mozambique a – contrairement aux discours travaillistes – renforcé la paupérisation d’une région parmi les plus pauvres du monde. L’essor des groupes djihadistes, qui se sont désormais rendus maîtres d’une grande partie de la province du Cabo Delgado, a encore aggravé la détresse de ces populations. En plus d’occasionner le départ forcé de nombreux habitants, le conflit aurait déjà fait au moins 1.100 morts, majoritairement chez les populations civiles, selon un décompte de l’ONG Armed Conflict Location and Event Data Project (Acled).
Mais ce désastre humanitaire n’a pas refroidi les ambitions des multinationales de l’énergie, qui n’hésitent pas à faire appel, via le gouvernement mozambicain, à des compagnies de sécurité privée et autres mercenaires pour assurer la poursuite de leurs activités et donner confiance aux investisseurs. « C’est une situation qui nous inquiète mais cela n’affecte pas directement la société. Nous travaillons avec le gouvernement pour assurer la sécurité du site et des personnes », précise ainsi Ronan Bescond, directeur général de Total pour le Mozambique.
De son côté, le ministre mozambicain des Ressources naturelles, Ernesto Max Tonela tient à rassurer les investisseurs : « c’est un projet très important et le gouvernement fait tout pour veiller à son succès ». Au lieu de s’attaquer aux racines politiques et sociales du conflit, le gouvernement, appuyé par des puissances et multinationales occidentales, continue donc à militariser la zone, alimentant ainsi les tensions. La population locale, prise en étau entre insurgés, forces militaires et milices privées, continue d’être victime de violations des droits humains.
Soutien financier et coopération militaire de la France
La dette importante du Mozambique, contractée notamment pour financer un programme de défense censé lui permettre d’assurer sa souveraineté sur ses gisements de gaz, maintient le pays dans une dépendance aux puissances étrangères. Ces dernières, la France en tête, s’appuient sur cette relation pour favoriser l’implantation sur le territoire de multinationales qui convoitent les réserves d’hydrocarbures. « L’objectif pour la France n’était pas seulement de sauver les chantiers de Cherbourg en difficulté économique, mais aussi d’exporter d’autres types d’armement et de renforcer la marine mozambicaine pour qu’elle soit en capacité de protéger les installations gazières », explique Les Amis de la Terre dans leur rapport.
L’ONG détaille également l’arsenal de la diplomatie économique déployé par la France pour défendre ses intérêts au Mozambique. Le gouvernement a été jusqu’à soutenir l’un des projets gaziers – en totale contradiction avec les grands discours écologiques télévisés – en accordant une garantie à l’exportation de plus de 500 millions d’euros. D’autres aides financières publiques de ce type pourraient encore être octroyées prochainement. Mais depuis la participation de Total au projet en 2019, le gouvernement français ne s’en tient plus à la diplomatie économique, et accélère en parallèle sa coopération militaire, notamment en matière de sécurité maritime. Plus inquiétant, de l’armement sous licence française se retrouverait par ailleurs entre les mains de groupes paramilitaires actifs pour contrer l’insurrection, d’après l’enquête menée par les Amis de la Terre.
Des activités contraires aux engagements pour la transition écologique
Les activités de la France dans cette région du monde contrastent nettement avec les récentes déclarations du Président de la République sur la nécessaire transition écologique, l’indépendance des pays africains ou la réindustrialisation de la France. Concernant la découverte de gaz au Mozambique, Emmanuel Macron expliquait ainsi à la Convention Citoyenne pour le Climat en janvier 2020 qu’il allait « falloir trouver des compensations dans l’économie internationale pour les aider à en sortir et les rendre moins dépendants de cela ». Plus généralement, les discours du gouvernement français en faveur de la transition écologique se heurtent à la réalité de ses actions au Mozambique et ailleurs.
L’exploitation des réserves gazières constitue en effet un véritable désastre écologique. Les Amis de la Terre estiment que les premiers projets qui verront le jour généreraient autant de gaz à effet de serre que sept années d’émissions de la France et quarante-neuf fois les émissions annuelles du Mozambique. Dans un pays déjà très vulnérable aux effets du dérèglement climatique, les installations offshores, dont la mise en place et le démantèlement sont particulièrement dégradants pour l’environnement, auront de plus un impact considérable sur l’exceptionnelle biodiversité locale.
Comme beaucoup de pays africains riches en ressources naturelles, le Mozambique subit donc aujourd’hui les dérives du modèle libéral mondialisé qui ne se soucie guère de l’effondrement écologique, le tout sous le regard des pays industrialisés. En raison des activités de ces multinationales et des États qui les soutiennent, la découverte de gisements gaziers a signifié l’exacerbation des violences ainsi que l’augmentation de la corruption et des inégalités sociales dans le pays. Les Amis de la Terre appellent donc le gouvernement français à cesser son soutien aux industriels des énergies fossiles, et somment également les entreprises françaises impliquées de se retirer de ces projets qui aggravent en outre la crise climatique.