Grâce aux mobilisations Black Lives Matter qui ont lieu en 2020 à l’échelle internationale contre le racisme en général, et la négrophobie en particulier, de plus en plus de personnes cherchent à connaître la vérité sur le passé ténébreux des puissances coloniales et la continuité néo-coloniale dans les temps présents. Des statues de personnages emblématiques du colonialisme européen sont déboulonnées ou font l’objet de dénonciations salutaires. Il en va de même avec des statues de personnages qui, aux États-Unis, symbolisent l’esclavage et le racisme. ReCommonsEurope se réjouit de toutes les initiatives et actions qui visent à dénoncer les crimes coloniaux, cherchent à établir la vérité sur les atrocités passées, mettent en évidence les instruments du néo-colonialisme et toutes les formes de résistance du passé jusqu’à aujourd’hui, demandent des réparations et exigent la fin de toutes les formes de discrimination à l’égard des peuples victimes du colonialisme et du néo-colonialisme.
Le 30 juin 2020, à l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance du Congo, la nouvelle a fait le tour de la planète : Philippe, roi des Belges, a exprimé dans une lettre adressée au chef de l’État et au peuple congolais des regrets pour le passé colonial et en particulier pour la période pendant laquelle Léopold II possédait personnellement le Congo (1885-1908).
Voici le passage principal de cette lettre : « A l’époque de l’État indépendant du Congo, des actes de violence et de cruauté ont été commis, qui pèsent encore sur notre mémoire collective. La période coloniale qui a suivi a également causé des souffrances et des humiliations. Je tiens à exprimer mes plus profonds regrets pour ces blessures du passé dont la douleur est aujourd’hui ravivée par les discriminations encore trop présentes dans nos sociétés. Je continuerai à combattre toutes les formes de racisme » (voir https://plus.lesoir.be/310315/article/2020-06-30/le-roi-reconnait-les-actes-de-cruaute-commis-au-congo-sous-leopold-ii ). Cette intervention du Roi des Belges est un des résultats de l’immense mouvement international de prise de conscience et de mobilisation qui a marqué la fin du mois de mai et tout le mois de juin 2020 depuis l’assassinat de George Floyd par la police aux États-Unis. Cette déclaration est totalement insuffisante car elle ne désigne pas explicitement de coupables, le roi Léopold II n’est même pas mentionné. Philippe ne présente pas des excuses et ne propose pas que la famille royale et / ou l’État belge versent des réparations. Il n’est pas question de rétrocéder non plus les biens volés au peuple congolais du temps de la domination de Léopold II sur le Congo et du temps de la période coloniale pendant laquelle le Congo a fait partie de la Belgique (1908-1960). Une partie de ces biens se trouvent au Musée de Tervuren ou dans des collections privées. Philippe ne propose pas de déboulonner les statues de colonisateurs et autres symboles de l’époque coloniale dans l’espace public belge ou tout au moins de les accompagner de plaques expliquant publiquement les horreurs de la période coloniale.
Le président français, Emmanuel Macron, s’oppose de son côté au déboulonnage des statues de personnages historiques, comme Colbert, qui ont fait la promotion de l’esclave et de la traite négrière.
Un énorme travail reste à accomplir.
1. Le lourd passé esclavagiste et colonial européen et le néocolonialisme : dettes historiques, morales et coloniales
Le commerce triangulaire [1] (Europe, Afrique, Amériques) était motivé par la recherche du développement capitaliste des métropoles coloniales.
Pendant plus de 400 ans, plus de 12 millions d’hommes, de femmes et d’enfants ont été victimes de la dramatique traite transatlantique des esclaves. Les femmes esclaves, en particulier, portaient un triple fardeau : outre le travail forcé dans des conditions difficiles, elles subissaient des formes de discrimination et d’exploitation sexuelle extrêmement cruelles, du fait de leur sexe et de leur couleur de peau.
À la suite de l’abolition de l’esclavage en différentes étapes au cours du 19e siècle, les pays européens, par le biais de massacres, colonisent le continent africain et le divisent à la Conférence de Berlin qui se tient en 1884-1885. La colonisation de l’Afrique a entraîné des génocides, l’exploitation des populations, un extractivisme destructeur des ressources et des biotopes, une oppression culturelle et cultuelle.
Mais ce n’est pas tout : les puissances coloniales ont également recouru au mécanisme de la dette pour maintenir les anciennes colonies dans une conjoncture économique coercitive. La Banque mondiale a été directement impliquée dans certaines dettes coloniales. Au cours des années 1950 et 60, elle a octroyé des prêts aux puissances coloniales pour des projets permettant aux métropoles de maximiser l’exploitation de leurs colonies. Une partie des dettes contractées auprès de cette banque par les autorités belges, britanniques et françaises pour leurs colonies ont ensuite été transférées aux pays qui accédaient à leur indépendance, sans leur consentement. Ainsi, les anciennes colonies ont été tenues de rembourser aux États colonisateurs les dettes que ces derniers avaient contractées pour les exploiter. Cela s’est fait en violation du droit international. Ces dettes n’ont pourtant pas été annulées. De plus, la Banque mondiale a refusé de suivre une résolution adoptée en 1965 par l’ONU lui enjoignant de ne plus soutenir le Portugal tant que celui-ci ne renonçait pas à sa politique coloniale [2].
Un des cas les plus frappants de dettes coloniales est celui d’Haïti. En 1804, l’indépendance est obtenue, face à l’impérialisme français, par la rébellion d’esclaves menée entre autres par Toussaint Louverture (le cas d’Haïti est particulièrement emblématique dans la mesure où ce sont les esclaves eux-mêmes qui ont arraché leur liberté). Vingt-et-un ans après, en 1825, la France a imposé à son ancienne colonie une indemnité de 150 millions de francs-or, en la menaçant d’une invasion militaire et d’une restauration de l’esclavage. Le poids de cette dette pèse toujours sur Haïti et sa population. La France voulait des compensations financières pour le manque à gagner résultant de l’abolition de l’esclavage à Haïti. Ce sont donc les anciens esclavagistes qui ont obtenu des « réparations » et non les personnes mises en esclavage.
Le Royaume-Uni n’a pas agi autrement. Après l’abolition de l’esclavage dans les colonies à partir de 1833, quelque 3 000 familles propriétaires d’esclaves ont reçu 20 millions de livres, soit plus de 16 milliards de livres d’aujourd’hui, pour leur perte de « biens », les biens en question étant des esclaves africains. Loin d’appartenir au passé, cet épisode est très actuel puisque le gouvernement britannique a terminé de payer les derniers versements du prêt pour l’abolition de l’esclavage le 15 février 2015, alors même que le premier ministre David Cameron invitait les Jamaïcains, dans un discours devant le Parlement Jamaïcain tenu le 30 septembre 2015, à considérer que l’esclavage appartenait au passé et qu’il était temps de « s’en remettre » [3]. L’Espagne a elle aussi réclamé un dédommagement important au Maroc pour son retrait du territoire de Tétouan en 1860, sous occupation espagnole depuis des années.
2. L’urgente nécessité des réparations et de la restitution des biens culturels
En droit, Louis-Georges Tin définit les réparations comme des « dispositifs légaux, moraux, matériels, culturels ou symboliques mis en place pour indemniser après un dommage de grande envergure, un groupe social ou ses descendants, de manière individuelle ou collective » [4]. Des réparations en cas de dommages de grande ampleur tels que les génocides, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité sont prévus par le droit international. La notion de réparation est née du besoin de rendre justice aux populations ayant souffert ces dommages. Cependant, la demande de réparations pose des questions importantes, puisque le marché devient ainsi le principal médiateur de ces politiques, pouvant devenir un moyen de mettre un prix à ces souffrances.
Les demandes de réparations ne sont pas récentes. Elles datent du début de la mise en esclavage des populations noires. A de nombreuses occasions, des dénonciations et condamnations ont été faites, déjà au 17e siècle, par le missionnaire français Épiphanie de Moirans et par le missionnaire espagnol José de Jaca, contre la traite des Noirs et leur maintien en esclavage au profit de l’économie coloniale en Amérique.
Au Nord comme au Sud, de nombreuses tentatives ont été lancées en vue d’une justice réparatrice pour les populations mises en esclavage et colonisées. En 1993, eut lieu la première conférence panafricaine à Abuja en faveur de la demande de réparations pour les descendant-e-s des victimes de la mise en esclavage des Africains, la colonisation et le néocolonialisme. Cet évènement relançait la lutte pour les réparations au sein de la communauté africaine et afro-diasporique. Cette conférence appela explicitement « la communauté internationale à reconnaître qu’il existe une dette morale unique et sans précédent envers les peuples africains qui n’a pas encore été payée ».
En mai 2001, la loi française sur la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité est adoptée par l’Assemblée nationale et le Sénat. Elle dispose que « la République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité ». La proposition initiale de cette loi, dite loi Taubira, comportait un article incluant un paragraphe concernant les réparations : « Il est instauré un comité de personnalités qualifiées chargées de déterminer le préjudice subi et d’examiner les conditions de réparation due au titre de ce crime ». Cependant, l’article fut abrogé en commission des lois et ce n’est qu’après suppression de la partie concernant les réparations que la loi fut votée à l’unanimité par l’Assemblée. La même année, lors de la Conférence mondiale de Durban contre le racisme, boycottée par les États-Unis, la délégation française ne s’est pourtant pas jointe à ceux qui demandaient que la traite des esclaves et le colonialisme soient reconnus comme un crime contre l’humanité et aucun pays européen n’a depuis lors suivi l’exemple français.
Plus récemment, depuis 2010, des mouvements sociaux haïtiens réclament des réparations face à l’épidémie de choléra provoquée par des soldats de la mission MINUSTAH (2004-2017), mission d’occupation réalisée sous l’égide des Nations Unies. Rappelons que le territoire d’Haïti a auparavant été occupé par l’armée des États-Unis entre 1915 et 1934.
En Belgique, dans le cadre de la Décennie des Afrodescendants, le Groupe de travail des experts des Nations unies sur les personnes d’ascendance africaine (WGEPAD), en visite en Belgique en février 2019, a organisé des rencontres avec des représentants de l’État et de ses institutions, ainsi que la société civile d’ascendance africaine afin de s’informer sur la situation des personnes d’ascendance africaine dans le pays. Dans son rapport, le WGEPAD recommande à la Belgique de mettre en place la justice réparatrice et d’utiliser le plan d’action en dix points pour la justice réparatrice de la Communauté caribéenne (CARICOM) comme cadre directeur [5]. Récemment, l’ONG Human Rights Watch a enjoint la Belgique de prévoir des réparations, entendant par-là des « compensations financières, mais aussi la reconnaissance des atrocités passées et des dommages qu’elles continuent de causer, et la fin des abus qui continuent d’être commis » [6].
Ainsi, malgré les actions menées dans cette direction depuis plusieurs années, les réponses apportées aux demandes de réparation ont très peu évolué. En outre, une pression est souvent exercée sur les anciens pays colonisés pour qu’ils abandonnent les demandes de réparations, avec pour conséquence que les initiatives prises en ce sens se limitent souvent à des déclarations, des indignations et des réclamations mais qui ne sont en général pas accompagnées de mesures contraignantes [7] (ce qui demeurera difficile tant qu’un organisme politique indépendant des rapports de force conjoncturels ne sera pas mis en place).
Outre les demandes de réparations, dans plusieurs pays d’Europe (particulièrement en France et Belgique) des campagnes ont été menées pour la restitution des biens culturels et des restes humains entreposés dans des musées ou dans des universités. Ces mobilisations ont fait bouger les lignes et ont été accompagnées de nombreuses annonces quant à des restitutions aux pays d’origine par les autorités françaises et belges. Les restitutions, mot tabou encore il y a quelques années, sont désormais évoquées voire annoncées. Cependant, les discours sont rarement assortis d’actes concrets, comme en témoigne la situation française, où le travail sérieux de Bénédicte Savoy et Felwine Sarr [8] n’a mené qu’à des renoncements depuis la remise de leur rapport au président français en 2018. Malgré la multiplication des réclamations, les anciennes puissances coloniales se montrent très peu enclines à procéder à des rapatriements purs et simples et se contentent parfois de promettre la mise sur pied d’un inventaire, voire même, simplement de « prêter » les trésors pillés [9].
En 2018, s’est posée en Belgique la question des restitutions des biens culturels et des restes humains spoliés en Afrique, à l’occasion de la réouverture du Musée royal d’Afrique centrale de Tervuren (Belgique). Un collectif composé essentiellement de membres de la diaspora et de chercheurs a publié une tribune dans le journal belge Le Soir [10], réclamant non seulement la restitution des biens culturels mais aussi des restes humains.
Tout comme dans la question des réparations, les actes de l’État belge et de l’État français vers des restitutions devront être audités afin d’éviter la mise en pratique de mécanismes qui masqueraient une fausse réparation. Il faut éviter de reproduire ce qui s’est passé avec le traité d’amitié entre la Libye et l’Italie signé en 2008 par le président Mouammar Khadafi et le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi. Il prévoyait un dédommagement de l’Italie envers la Libye pour la période coloniale [11]. Ce geste de l’Italie a été en réalité guidé par des intérêts économiques et politiques. Les excuses étaient assorties de « réparations » sous formes d’investissements « liés », d’obtention de contrats, de contrôle de ressources naturelles et de conditionnalités comme le contrôle des flux migratoires…, ce qui revient à imposer et faire perdurer un rapport de domination néocoloniale.
3. Quelques recommandations pour amorcer la question des réparations et des restitutions dans les pays européens
Les recommandations peuvent s’inspirer du Plan en 10 points du Comité pour les Réparations du CARICOM (Communauté des Caraïbes), ce groupe de 15 pays des Caraïbes, dont la mobilisation est la plus aboutie quant aux réparations face aux crimes de la mise en esclavage et du colonialisme. Les recommandations que nous allons reproduire ci-dessous concernent notamment la France, le Royaume-Uni et les Pays-Bas auxquels il est demandé, outre des excuses publiques et sincères, une annulation de la dette extérieure des États membres de la CARICOM. Cela-dit, ces recommandations constituent de bons principes directeurs pour le développement de « feuilles de route » pour l’ensemble des pays européens responsables de l’esclavage et du colonialisme.
ReCommonsEurope poursuivra un travail en l’élargissant autant que faire se peut à des débats et propositions en cours dans d’autres pays.
Voici les principales mesures proposées dans le cadre des travaux de CARICOM :
Des excuses pleines et formelles, par opposition aux “expressions de regrets” que certains pays ont pu formuler. Néanmoins, les excuses – qui sont donc toujours restées en marge des réflexions mémorielles liées à l’esclavage – sont largement insuffisantes dès lors que l’on sait qu’elles sont souvent exprimées pour servir des finalités plus stratégiques, inscrites dans un agenda politique de circonstance et de rapports de force [12].
Le rapatriement des descendants de plus de 12 millions d’Africains enlevés et déportés vers les Caraïbes comme esclaves, réduits à l’état de bétail et de bien meubles, à rentrer d’où ils viennent.
Un programme de développement pour les populations indigènes ayant survécu au génocide. Dans ce cas, il faudra veiller à ce que la priorité de ce modèle de développement ne soit pas le marché mais l’amélioration des conditions de vie des habitant·e ·s, en particulier en termes de services publics.
Des institutions culturelles permettant de transmettre la mémoire des victimes et de leurs descendants.
Des moyens alloués à la « crise de santé publique » que connaissent les Caraïbes. Les Caraïbes étant la région qui a la plus forte incidence de maladies chroniques qui émane directement de l’expérience nutritionnelle, de la violence psychologique et de manière plus générale des formes de détresses associées à l’esclavage, le génocide et l’apartheid.
L’éradication de l’illettrisme, les populations noires et indigènes ayant été laissées dans une situation d’illettrisme généralisé après l’indépendance, particulièrement dans les colonies anglaises.
Un Programme d’enseignement africain, afin de renseigner les Afrodescendants sur leurs racines.
Un programme de réhabilitation psychologique pour le soin et la réparation des populations afro-descendantes.
Un transfert de technologie pour avoir un meilleur accès à la science et la culture technologique mondiale. Ce transfert joue un rôle particulièrement important dans le besoin de faire face aux conséquences du réchauffement climatique ainsi que pour permettre de mettre en œuvre une transition énergétique.
L’annulation de toutes les dettes pour mettre fin à “l’enchaînement fiscal” que connait la Caraïbe depuis la libération de l’esclavage et du colonialisme.
ReCommonsEurope, en écho aux demandes des mouvements sociaux de la région de la Caraïbe soutient la demande d’une compensation financière pour l’exploitation économique et la déshumanisation raciste des Africains réduits en esclavage. On estime que le paiement des réparations de la Grande-Bretagne aux Africains des Caraïbes serait de l’ordre de 7,5 milliards de livres sterling. Les 20 millions de livres sterling versés aux esclavagistes africains après l’abolition de l’esclavage en 1834 dans l’Empire britannique vaudraient environ 200 milliards de livres sterling en valeur actuelle [13]. Ces fonds doivent être capitalisés pour un modèle de développement alternatif, solidaire… et être contrôlés par le peuple.
Par ailleurs, d’autres mesures sont importantes en matière de réparations :
Des réparations face aux crimes écologiques qui se traduisent dans des condamnations et compensations financières ;
Inclure l’histoire de l’esclavage et du colonialisme dans l’éducation au sens large, c’est-à-dire non seulement dans le cursus scolaire (via l’enseignement) mais aussi le promouvoir au niveau des politiques culturelles (sensibilisation, soutien aux associations, événements, etc.).
Le calcul de ce que les pays colonisateurs doivent à leurs anciennes colonies en termes de biens volés, ressources spoliées, force de travail exploitée, etc. Pour ce faire, il faut créer un groupe d’économistes, juristes, fiscalistes afin de produire des connaissances sur les réparations. L’objectif est de trouver un chiffre précis que le pays colonisateur devra payer (et à qui : communautés, écoles, fondations) à ses anciennes colonies pour les crimes commis.
La mise en place de quotas de représentation au sein des institutions
La condamnation effective de propos et actes racistes
4. Conclusion
Le constat est clair : les propos ainsi que les actes racistes et xénophobes sont en augmentation ces dernières années en Europe. Le racisme structurel qui fait système au sein du Nord global, accompagné d’une suprématie blanche décomplexée encourage les comportements racistes décomplexés. De plus, la grande majorité de ces délits restent impunis. Pourtant, le caractère du structurel du racisme – et les discriminations qui en découlent – n’est plus à démontrer.
Le 26 mars 2019, le Parlement européen a adopté une résolution sur les « Droits fondamentaux des personnes d’ascendance africaine » reconnaissant que « […] le racisme et les discriminations dont sont victimes les personnes d’ascendance africaine sont structurels […] » et « […] que cette forme de racisme est le fruit des structures historiquement répressives du colonialisme et de la traite transatlantique des esclaves » [14].
Groupe de travail d’experts des Nations Unies sur les personnes d’ascendance Africaine (WGEPAD) a quant à lui conclu ce qui suit à propos de la Belgique, dans sa déclaration de 2019 : « Les causes profondes des violations contemporaines des droits de l’Homme résident dans le manque de reconnaissance de l’ampleur réelle de la violence et de l’injustice de la colonisation. En conséquence, le discours public ne reflète pas une analyse nuancée de la manière dont les institutions peuvent conduire à l’exclusion systémique dans les domaines de l’éducation, de l’emploi et des opportunités. Le Groupe de travail conclut que les inégalités sont profondément enracinées en raison de barrières structurelles qui se recoupent et se renforcent mutuellement. Des efforts crédibles pour lutter contre le racisme exigent d’abord de surmonter ces obstacles » [15].
Or, malgré cela, aucune avancée significative n’a été accomplie pour déconstruire ces structures. Ainsi, si les excuses et les réparations doivent être prise en compte pour tout projet de société véritablement attaché à la dignité humaine de chacun-e, sans distinction de race, d’appartenance ethnique ou d’origine nationale, elles ne suffisent pas pour parvenir à l’élimination des structures qui soutiennent les discriminations. En d’autres termes, chacune des recommandations énumérées ci-dessus est une conditions nécessaire mais non-suffisante si elle n’est pas pensée dans le cadre d’une mise en œuvre plus large de l’ensemble de ces recommandations.
Il y a toutefois des éclaircies à l’horizon : la mort de George Floyd aux Etats-Unis a redonné un vrai souffle au mouvement Black Lives Matter et a déclenché des manifestations partout dans le monde. Depuis le 30 mai, de nombreux rassemblements ont eu lieu : en Belgique, 10.000 personnes ont manifesté contre le racisme et les violences policières ; en France : plus de 20.000, où l’histoire de la mort du jeune Adama Traoré a refait surface. Aux Etats-Unis ce sont des centaines de milliers de manifestants sur tout le territoire. Au Royaume-Uni des statues sont déboulonnés. En Australie d’importantes mobilisations ont également eu lieu. Au Brésil, « Vidas Negras Importam » est le slogan qui a été scandé par des centaines d’habitant.e.s des favelas de Rio qui se sont rassemblés le dimanche 31 mai au soir devant le siège du gouvernement régional. La tristement célèbre mort de George Floyd aura ainsi eu pour effet de conscientiser une grande partie de l’opinion publique, notamment chez les jeunes, à la nécessité de dénoncer et combattre le racisme institutionnel.
Image: La traite des esclaves en Afrique de l’Ouest par Auguste Francois Biard, 1833 (CC – Wikimedia)