Daniel Vigneron, My Europe –
Quand l’imprécation tient lieu de politique, il y a de quoi s’inquiéter. Les propos du président Emmanuel Macron, dénonçant « le cynisme et l’irresponsabilité » du gouvernement italien après le refus de ce dernier d’interdire l’accostage en Italie de l’Aquarius (photo), navire transportant 629 migrants a de quoi révulser tous les humanistes du continent.
Car si cette critique pourrait sembler justifiée concernant la brutalité de la décision, il est clair qu’elle est particulièrement malvenue d’une France qui a toujours refusé d’ouvrir ses ports aux réfugiés de la Méditerranée et qui n’a guère pris sa part dans le partage du fardeau migratoire comme elle s’y était engagée en 2016.
Le mirage d’une politique migratoire européenne
Au delà, cet épisode révèle l’incapacité de plus en plus flagrante de l’Europe à définir une politique migratoire cohérente en dépit du net ralentissement des flux de migrants vers l’Europe depuis 2017. De fait, le 5 juin dernier, le conseil des ministres de l’intérieur s’est séparé sur un large constat de désaccord par rapport au projet de compromis de la présidence bulgare.
Dès 2015, l’agenda de la Commission européenne sur les migrations visait à mettre sur pied une véritable politique européenne en la matière. Sur la table, une harmonisation du droit d’asile, une répartition automatique et équitable des migrants entre les pays membres assortie de soutien financier, des dispositifs d’aide financière au retour, un plan d’investissement en Afrique…
Mais l’explosion des flux migratoires, la division de l’Europe entre pays confrontés au débarquement des réfugiés et pays fermant hermétiquement leur frontière a rendu très délicate l’adoption d’une pareille législation. L’actuelle présidence bulgare proposait donc un compromis susceptible de concilier les intérêts antagonistes.
Des intérêts profondément antagonistes
Ce compromis a pourtant fait un « flop » lors de la dernière réunion des ministres de l’intérieur. Car les positions ne cessent de se radicaliser en Europe. Il y d’abord les pays qui refusent tout partage du fardeau migratoire, en gros l’Europe centrale.
Ce groupe dit « de Visegrad » est même de plus en plus dur depuis que la Slovaquie et la république tchèque partagent le discours de fermeture de la Hongrie et de la Pologne.
En outre, Visegrad reçoit aujourd’hui le renfort de l’Autriche – dont le ministre de l’intérieur est désormais national-populiste, et du Danemark, dont le gouvernement est soutenu par les populistes. Ces deux pays vont jusqu’à prôner l’ouverture dans la région des Balkans de camps d’internement pour les déboutés du droit d’asile que leur pays d’origine refusent de reprendre !
Sans compter la Belgique dont le ministre de l’intérieur nationaliste flamand suggère de passer outre l’interdit de la cour européenne des droits de l’homme en empêchant les bateaux de migrants d’accoster.
C’est précisément ce que vient de faire Matteo Salvini, le nouveau ministre Italien de l’intérieur issu des nationalistes de la Ligue en refusant au navire l’Aquarius et à ses 629 migrants l’accostage en Italie.
L’Italie submergée et oubliée
Avant tout, l’Italie exige un partage plus équitable du fardeau via l’accueil des réfugiés par d’autre pays comme la France ou l’Espagne (qui va finalement recevoir l’Aquarius).
Et puis, pour un pays qui a vu débarquer plus de 600.000 réfugiés depuis 2015, les règles européennes sont déjà lourdes puisqu’elles lui imposent de conserver pendant 18 mois la responsabilité de gérer les migrants enregistrés à leur arrivée sur son sol en tant que pays d’entrée sur le territoire de l’Union.
Ainsi, s’appuyant sur cette règle découlant du règlement de Dublin, la France a refoulé depuis deux ans vers la Péninsule plus de 10.000 réfugiés.
Or, ce qui est proposé aujourd’hui, c’est de prolonger cette responsabilité à 8 ans ! Ainsi, un clandestin débarqué à Messine et qui va se réfugier en France pourrait être renvoyé en Italie après 7 ans passés dans l’Hexagone !
Une relocalisation en trompe l’oeil
De plus, la répartition dans d’autres pays des migrants arrivés en Italie ou en Grèce – ce fut le cas en 2016 et 2017 – ne serait pas automatique mais réservée aux périodes de crise. Inacceptable pour Rome !
Le bilan de cette politique de relocalisation est d’ailleurs édifiant. Selon Bruxelles et les données officielles, pratiquement tous les migrants venus de Grèce ou d’Italie ont été répartis dans d’autres pays.
La réalité est moins glorieuse : sur près de 100.000 migrants à répartir, seuls 34.000 l’ont été effectivement. Explication : le temps de mettre en place les points de contrôle, 60.000 réfugiés se sont relocalisés d’eux mêmes en franchissant clandestinement les frontières !
Quant à la France, son attitude vis-à-vis de l’Italie est indéfendable. Paris s’était engagé à « relocaliser » près de 10.000 réfugiés arrivés sur le sol italien. A ce jour, elle n’en a accepté que 550. Et, comme on l’a vu, elle en a contraire refoulé plus de 10.000. Bref, cette politique contraire à l’esprit des accords n’a pas peu contribué à porter l’extrême droite au pouvoir à Rome.
L’Allemagne toujours en première ligne
Le flux des réfugiés continue à s’implanter majoritairement en Allemagne. C’est le cas pour 60% d’entre eux, puisqu’en 2016 et 2017, ce pays a accordé un titre de séjour à 770.000 personnes, contre 100.000 en Suède, 75.000 en France et 70.000 en Italie.
Ce qui fonctionne de façon plus égalitaire, c’est le système que l’on appelle les « réinstallations ». Elles concernent les réfugiés en situation de fragilité que l’on va chercher dans les camps en Turquie, Jordanie, Libye ou Niger et que l’on accueille en Europe.
Sur 34.000 personnes concernées depuis 3 ans, l’Allemagne en a accueilli 7.000 et la France 5.700. Mais ces réfugiés sont plus facile à accueillir : ils sont « pré-sélectionnés » et, surtout, chaque prise en charge est dotée de 10.000 € provenant du budget européen.
Les partisans de l’accueil raisonné ultra-minoritaires
Les pays comme la France et l’Allemagne qui, officiellement, continuent de défendre une politique d’accueil raisonné des migrants font désormais tout pour se protéger de l’ « invasion migratoire» évoquée par le ministre français de l’intérieur Gérard Collomb.
Outre Rhin, Horst Seehofer, président de la droitière CSU bavaroise, depuis quelques mois ministre allemand de l’intérieur, s’intitule lui-même « ministre de l’intérieur et de la patrie ». Et reçoit à bras ouverts en Bavière, le très nationaliste premier ministre hongrois Viktor Orban…
Comme le constate avec amertume Yves Pascouau, chercheur à l’université de Nantes sur les questions de migration : « Il est désormais vain de penser que les Etats européens vont partir à la défense de la cause migratoire ».
Sauf réveil peu probable de la société civile, cette situation va donc continuer à gangréner la vie de l’Union européenne pendant de longues années.