« Ce soir, j’ai la gâchette facile » : retour sur les dix affaires de violences qui ont mené des policiers en prison

C’est arrivé dix fois en 43 ans, pour 213 interventions ayant entraîné la mort. Basta ! revient sur ces affaires ayant abouti devant un tribunal à une condamnation de policiers ou de gendarmes.

Pour quelles affaires des policiers ou des gendarmes ont-ils été jugés responsables d’un homicide, ou de violences disproportionnées ayant entraîné la mort d’une personne, et ont-ils écopé d’une peine de prison ferme ? Parmi les 213 dossiers d’interventions létales ayant impliqué des forces de l’ordre dont nous connaissons les suites judiciaires, nous avons recensé dix cas à la suite desquels une peine de prison ferme a été prononcée contre des policiers ou gendarmes en service [1]. Un constat : seules dix condamnations d’emprisonnement ferme pour homicide en 43 ans.

La dernière remonte à 1999 : elle concerne le meurtre de Fabrice Fernandez, tué lors de sa détention dans un commissariat par un agent qui s’est saisi d’un fusil à pompe (voir ci-dessous). Le policier écope de la peine la plus lourde que nous connaissons : douze ans de prison ferme. La deuxième peine la plus lourde est celle de l’agent ayant exécuté d’une balle dans la tempe Makomé M’Bowolé, en 1993, également lors d’une détention dans un commissariat du 18e arrondissement de Paris : huit ans de réclusion criminelle pour homicide volontaire. Au-delà de ces deux affaires, même lorsqu’ils sont reconnus coupables d’homicides involontaires (passible de 5 ans d’emprisonnement), de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner (15 ans) ou d’homicide volontaire (30 ans) les peines demeurent indulgentes et presque systématiquement assorties de sursis, et aménageables.

« Il est rare que les peines soient effectivement purgées », constate ainsi Amnesty International, dès 1998. Exemple ? Le CRS qui tue à Marseille Lahouari Ben Mohamed en 1980, après avoir déclaré « Ce soir, j’ai la gâchette facile », écope – sept ans plus tard – de dix mois de prison dont quatre avec sursis. Ayant été placé trois mois en détention préventive juste après les faits, il est remis en liberté le lendemain du verdict. « Tous les signaux envoyés par la justice constituent des blancs-seings aux forces de l’ordre à faire ce qu’elles veulent, résume aujourd’hui Omar Slaouti, du Comité Vérité pour Ali Ziri (mort à 69 ans d’un arrêt cardiaque suite à une suffocation, lors d’un contrôle en 2009 à Argenteuil). L’État aurait les moyens d’arrêter ces techniques létales ou de condamner fermement les policiers. Mais il s’agit de sauvegarder le monopole de la violence légitime, le corps qui régit l’ordre social ». Voici les dix affaires en question.

« Ce soir j’ai la gâchette facile »

Le 18 octobre 1980, veille de l’Aïd, un contrôle routier est mis en place aux abords d’une cité du quartier de la Busserine, à Marseille. Contrôlant une voiture, un CRS de 23 ans, Jean-Paul T., tue le passager de deux balles de pistolet-mitrailleur, tirées à bout portant dans la tête. La victime est Lahouari Ben Mohamed, âgé de 17 ans, d’origine marocaine. Le policier aurait déclaré : « Attention les jeunes, je ne sais pas si c’est le froid, mais ce soir, j’ai la gâchette facile. » L’acte est d’abord qualifié « d’homicide par imprudence ». L’agent effectue trois mois de détention préventive à la prison des Baumettes puis est relâché. La famille de Lahouari Ben Mohamed tente de requalifier le délit en « homicide involontaire ». L’affaire déclenche une forte mobilisation des habitants du quartier. De ce même quartier partira, trois ans plus tard, la Marche pour l’égalité et contre le racisme.

En septembre 1987 – sept ans après les faits ! –, le CRS comparaît devant la cour d’assise d’Aix-en-Provence. Il écope de dix mois d’emprisonnement, dont quatre avec sursis. Il est ensuite amnistié, bénéficiant de la grâce présidentielle qui efface tous les crimes et délits punis de moins de six mois ferme, et antérieurs à l’élection de 1981. « Un choc pour la famille, qui vit “un pur déni de justice” », écrit le quotidien L’Humanité. Le frère de Houari, Hassan Ben Mohamed, écrira un livre-enquête, publié en 2015. Il est lui-même devenu policier.

Un gendarme tue un autre gendarme

Le 17 juin 1986, Jean Combeau, un gendarme de la brigade de Piana en Corse, tente de neutraliser un collègue au cours d’une altercation avec le responsable de la brigade. Son collègue le tue d’une balle dans la tête. Le gendarme auteur du coup de feu est inculpé d’homicide volontaire. En mars 1988, il est condamné à trois ans de prison, dont dix-huit mois avec sursis.

« Coups et blessures volontaires avec arme sans motif légitime »

Le 5 juillet 1986, Loïc Lefèvre, un peintre-carrossier de 28 ans, tente d’échapper à un contrôle. Un CRS armé d’un fusil ouvre le feu et le blesse mortellement à l’omoplate gauche. Comparaissant devant la cour d’assises, le policier est reconnu coupable de « coups et blessures volontaires avec arme, par un fonctionnaire de police dans l’exercice de ses fonctions, sans motif légitime, ayant entraîné la mort sans intention de la donner », il est condamné à cinq ans de prison ferme, dont trois avec sursis, en 1990.

La victime inconnue

Cette affaire nous est rapportée par l’historien Maurice Rajsfus, décédé ce 13 juin 2020, dans son livre La police hors la loi : des milliers de bavures sans ordonnances depuis 1968 [2]. Les détails de l’affaire manquent et sont à compléter [3]. En janvier 1987, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), un homme est tué d’une balle dans le cœur par un gardien de la paix. Le policier écope d’une peine de quatre ans de prison, dont trois avec sursis, en 1992.

« J’ai paniqué. J’ai tiré sans viser »

Ce 25 novembre 1987, Mohamed Khier, est en garde à vue au commissariat de Montreuil pour suspicion de vol. L’homme, de nationalité algérienne, doit être emmené au service de l’identification judiciaire à Paris pour vérifier l’authenticité de ses papiers. Embarqué dans un vieux fourgon, dont la porte ferme mal, il est surveillé par un agent stagiaire. Au retour, Mohamed Khier profite d’un embouteillage pour s’enfuir du véhicule au niveau de Saint-Mandé. Il est tué d’une balle dans le dos.

Lors de son procès, l’agent dit avoir tiré par erreur : « J’ai paniqué. J’ai tiré sans viser. Je ne pensais pas l’avoir touché. Quand j’ai vu ce que j’avais fait… » « L’arme était un revolver 357 magnum que [l’agent] avait utilisé une seule fois à l’entraînement avec une note de tir très médiocre. Cette fois, il a fait mouche à trente-cinq mètres avec une arme présentant un défaut axial de vingt-cinq centimètres à cette distance », écrit Le Monde. Le policier est condamné en cour d’assises à quatre ans de prison, dont trois avec sursis, pour « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ».

Police municipale armée

Le 23 juin 1990, à Perpignan, vers quatre heures du matin, une patrouille de police municipale repère une voiture sans plaque d’immatriculation. Une poursuite s’engage. Une fois le véhicule stoppé, un des policiers s’avance à pied et sort sont arme, un revolver Smith & Wesson type 38 spécial, dont sont dotés depuis peu les agents municipaux de Perpignan. Lorsque le policier arrive au niveau du phare avant droit, le véhicule aurait alors redémarré. Le policier tire et atteint le conducteur, Olivier Bou, 20 ans, à la poitrine. Celui-ci meurt sur le coup. La voiture continue quelques mètres avant de s’immobiliser. Le policier est inculpé « d’homicide volontaire ». Il est condamné en 1994 à cinq ans d’emprisonnement, dont trois avec sursis.

Balle dans la tête

Le 23 décembre 1992, à Béziers, des CRS poursuivent puis bloquent une voiture qu’ils suspectent volée. Pendant que l’un des occupants s’enfuit à pieds, l’autre, Hassan Benahmed, est interpellé. L’adolescent, de nationalité marocaine, résidant à Villeneuve-lès-Béziers, est âgé de dix-sept ans et n’est pas armé. Alors que l’un des CRS tente de le menotter en le plaquant sur le capot du véhicule, son collègue qui tenait Hassan Benahmed en joue ouvre le feu et le tue d’une balle dans la tête. Le sous-brigadier est condamné le 23 mars 1995 à dix-huit mois de prison, dont six mois fermes, par le tribunal de grande instance de Béziers.

L’affaire Makomé

Le 6 avril 1993, Makomé M’Bolowé, un jeune zaïrois de dix-sept ans, suspecté d’avoir volé des cigarettes, est interpellé par des agents de la police nationale avec deux autres personnes. Il est menotté et placé en garde à vue au commissariat du 18e arrondissement de Paris. Lors de son interrogatoire, un agent, Pascal Compain, sort une arme d’un tiroir, braque Makomé M’Bolowé et lui tire une balle dans la tempe devant deux autres policiers, témoins de la scène. L’annonce de sa mort déclenche trois jours de révoltes et d’affrontements dans l’Est parisien. Trois ans plus tard, la cour d’assises condamne Pascal Compain à huit ans de réclusion pour « violence volontaire ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner ». Le policier sort libre en 1999. L’affaire inspirera Mathieu Kassovitz pour son film La Haine.

« Le coup est parti sans que je me rende compte »

Le 7 avril 1993, des policiers interviennent dans un terrain vague de Wattrelos, près de Roubaix, pour mettre fin à un rodéo. Les jeunes s’échappent à pieds. L’un des agents, en état d’ébriété – 0,86 gramme d’alcool dans le sang – tente de rattraper Rachid Ardjouni, un adolescent de dix-sept ans, et ouvre le feu. Celui-ci est touché à la tête et succombe à ses blessures trois jours plus tard à l’hôpital. Des émeutes éclatent à Tourcoing, d’où Rachid est originaire, Wattrelos et Roubaix. Le policier est placé en détention puis remis en liberté un mois après les faits.

« Le coup est parti sans que je me rende compte. Je n’ai pas entendu la détonation. J’ai vu un gamin par terre avec une balle dans la tête et, croyez-moi, j’avais pas le sourire », explique-t-il lors de son procès, à Lille, fin août 1995, suivi par Libération. Inculpé d’ « homicide involontaire », il est condamné en 1996 à deux ans de prison, dont six mois ferme, par la cour d’appel de Douai. Les faits n’étant pas inscrits à son casier judiciaire, le sous-brigadier peut reprendre ses fonctions.

« Pourquoi, en le voyant l’arme à la main, n’avez-vous pas hurlé “pose ça !” »

Ce 18 décembre 1997, Fabrice Fernandez rend visite à sa tante dans la cité de La Duchère, à Lyon. Il aperçoit deux de ses demi-frères en train d’être interpellés par la BAC, après le signalement d’un vol de chien par un voisin. Un fusil à pompe est confisqué. Fabrice Fernandez s’interpose et est également embarqué au commissariat. Il est isolé dans un bureau face à plusieurs agents et menotté dans le dos. Suite à une « altercation », l’agent Jean Carvalho se saisit du fusil à pompe posé à côté, braque Fabrice Fernandez, et tire alors que d’autres policiers sont présents. Jugé aux assises, l’îlotier est condamné pour meurtre à douze ans de prison ferme. « Pourquoi, en voyant Carvalho l’arme à la main, n’avez-vous pas hurlé “pose ça !” », demande l’avocat général à l’un des brigadiers témoins, lors du procès en décembre 1999 [4].

Lorsqu’on lit les comptes-rendus de ces procès, aucune réelle similarité ne se dégage de ces policiers reconnus coupables d’homicides. Il sont tantôt décrits comme « exemplaire », « bien noté », « calme au sang-froid » ; tantôt comme « narcissique », « déprimé », voire « pauvre type » « peu apte au métier ». La cour rappelle régulièrement qu’il ne s’agit pas de faire le procès de la police. Leur comportement est présenté comme « inexplicable », causé par une « pulsion imbécile », ou par un homme « constitutionnellement émotif ». Comme si l’institution policière, son fonctionnement, les comportements ou préjugés qu’elle charrie n’y était pour rien.

Des policiers davantage condamnés quand ils tuent en dehors de leur service ?

78 affaires concernent des agents ayant tué une personne en dehors de leurs heures de service, soit avec leur arme, soit lors d’un accident routier avec un véhicule de police dont ils ont conservé l’usage (ce qui est toléré). La justice est-elle plus sévère lors que les agents mis en cause ne portent plus l’uniforme ? Dix-sept affaires ont conduit à des peines de prison ferme, six condamnations à de la prison avec sursis. Ces sanctions plus lourdes s’expliquent en partie par la nature des faits. La moitié de ces drames sont liés à une affaire personnelle.

Scénario récurrent : la compagne d’un policier formule un souhait de séparation, une altercation éclate, l’agent sort son arme de service et commet un féminicide. Dans trente affaires, l’auteur du crime a ensuite retourné son revolver contre lui. Ces violences familiales ont bondi en 2017 suite à la loi facilitant le port d’arme de dotation en dehors du temps de service [5].

Il arrive que ces policiers ou gendarmes hors-service en viennent à tuer lors de tentatives d’interpellations similaires à une intervention en uniforme. Exemple : le 6 décembre 1986, Abdel Benyahia, âgé de 20 ans, tente de séparer les participants à une bagarre devant un bar de Pantin (Seine-Saint-Denis). Un inspecteur surgit, crie « Police ! » et ouvre le feu. Abdel Benyahia meurt d’une balle dans le cœur. Circonstance aggravante, le policier était en état d’ébriété. Il est condamné à sept ans de prison ferme pour « homicide volontaire ». Le fait que l’intervention se produise en dehors des heures de service n’exempte par le policier de sa fonction [6].

En service ou non, « il n’y a pas de place pour de tels comportements dans la police de notre pays », assène ainsi Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, suite au décès de Yassin Aibeche, abattu par un policier ivre, en dehors de son service, suite à une altercation à Marseille, en février 2013. « Personne ne sera protégé », promet alors Manuel Valls à la famille, s’asseyant au passage sur la séparation des pouvoirs. Trois ans et demi après les faits, le policier est condamné à douze ans de réclusion criminelle.

LS

Basta !

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