Une Assemblée qui réunit le Printemps arabe à Tunis

Même ceux qui s’opposaient à la tenue de l’évènement étaient là, revendiquant un espace de parole. Ainsi en est-il de la démocratie au Forum. Il y a de tout, et pour tous.

Le FSM, qui s’est déroulé du 26 au 30 mars dans la capitale tunisienne, a connu avec l’Assemblée l’un de ses points d’orgue. Dans l’amphithéâtre de la Faculté de Droit de l’Université El Manar, des mots d’ordre ont régi l’ensemble de la rencontre. Y faisaient écho, à chaque instant, les groupes présents, dans une atmosphère saine de débats. Les noms des leaders de gauche Chokri Belaïd et Hugo Chávez, récemment disparus, étaient sur toutes les lèvres. Des martyrs de révolutions en cours. Et presque constamment, un chœur émanant du fond de l’assemblée réclamait la fin du capitalisme.

En même temps, des femmes arabes émettaient de sonores “zaghrouta” ou “salgouta”, ces cris de guerre datant de l’époque des Pharaons d’Egypte, lorsque les femmes recevaient ou faisaient leurs adieux à leurs maris partant à la guerre ou en revenant. De nos jours, ce son ululant, qui exprime joie et émotion, est souvent utilisé dans les célébrations et les danses.

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Des musiques arabes, traditionnelles ou plus récentes – dont certaines ont marqué le “Printemps arabe” – ont aussi donné du rythme à l’évènement et un rap a été chanté a capela par un artiste de la région.

On estime que deux mille personnes étaient présentes dans l’auditorium. Et quelques centaines ont dû rester dehors, à cause de l’affluence. Le français était la langue prédominante, et quelques interventions ont été traduites en anglais, en espagnol et en arabe.

Kurdes

Au début de l’assemblée ont été évoqués les immigrants et ceux qui n’ont pu entrer dans le pays pour participer au Forum, comme Yilmaz Orkan, membre du Conseil International du FSM, du Réseau Kurde et du Réseau Mondial pour les Droits Collectifs des Peuples (RMDCP). Yilmaz, connu dans le monde entier pour sa lutte contre l’oppression des peuples kurdes, a été arrêté à l’aéroport international de Bruxelles dimanche 24 mars, alors qu’il était en chemin pour le FSM.

“Nous, participants du Forum Social Mondial (FSM) de Tunis 2013, condamnons l’arrestation d’Yilmaz Orkan”, dit un passage de la lettre signée par plus de 30 dirigeants et militants, diffusée pendant le FSM. Selon le document, la détention de l’activiste kurde aurait été demandée par le gouvernement espagnol et par Europol, sous prétexte qu’il est membre du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), accusé de terrorisme – il figurerait sur la liste des « organisations terroristes » de l’Union Européenne. La lettre s’achève sur cette affirmation : “Nous dénonçons cette pratique comme étant un instrument de la République de Turquie et du Moyen Orient pour criminaliser la lutte des peuples kurdes pour leurs droits fondamentaux !”

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Les kurdes sont en majorité musulmans, sunnites, et ils ont une langue et une culture propres. Depuis la dissolution de l’Empire Ottoman, après la Première Guerre Mondiale, où ils ont vu leur vie nomade traditionnelle encerclée par les nouvelles frontières créées après la guerre, ils vivent éparpillés sur cinq pays : l’Arménie, l’Iran, l’Irak, la Syrie et la Turquie. C’est en Turquie que se trouve la majorité de la population kurde, dont les forces de gauche exercent une forte pression. Sur fond de conflits sanglants, qui déciment les communautés kurdes, dans les montagnes du sud-ouest oriental du pays, ils revendiquent la reconnaissance politique du Kurdistan et le respect de leur culture.

Lutte anticapitaliste et féminisme

De nombreuses chefs de files féministes ont renforcé leur lutte contre le machisme, le patriarcat et le fondamentalisme islamique de certaines régions de pays musulmans, qui affectent directement l’autonomie des femmes.

“Nous devons avancer dans la lutte anticapitaliste, qui n’aura de succès que si elle est féministe”, a insisté Ahlem Belhard, présidente de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates, l’une des leaders invitées à prendre la parole pendant l’Assemblée ; elle a conduit, dès le début du FSM, l’Assemblée des Femmes.

Dans les interventions suivantes, une minute de silence a été observée en mémoire du martyr Chokri Belaïd, chef de la gauche tunisienne, assassiné en février dernier. Malgré les menaces, le Front Populaire créé en septembre 2012 par 12 partis, parmi lesquels le Parti Unifié des Patriotes Démocrates (PPDU) de Belaïd, continue d’être la force d’opposition à la Ligue de Protection de la Révolution (LPR), formée par des salafistes (musulmans ultraconservateurs) et des sympathisants du parti actuellement au gouvernement, l’Ennahda, de tendance religieuse. Belaïd accusait cette dernière de crimes non résolus. Sa mort a déstabilisé le nouveau gouvernement, et ouvert la voie à de nouvelles élections.

Sahara Occidental

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D’autres luttes de cette région ont été évoquées, comme celle de la Palestine. Le drapeau du Sahara Occidental indépendant, situé au Maroc, a suscité une instabilité dans l’assemblée, menant les participants à des disputes enflammées. De nombreux Marocains, qui ne reconnaissent pas la lutte du peuple sahraoui, ont contesté un passage du document final de l’Assemblée disant : “Nous défendons le droit des peuples à l’autodétermination et à la souveraineté, comme en Palestine, dans le Sahara Occidental et au Kurdistan.”

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Depuis 1960, et l’approbation par l’Assemblée Générale des Nations Unies (ONU) de la Déclaration sur la Concession de l’Indépendance aux Pays et Peuples Colonisés, qui entraîna la décolonisation de territoires jusqu’alors aux mains des nations européennes, le Sahara Occidental est resté le dernier motif de dispute coloniale en Afrique – à ne pas confondre avec les récents assauts colonialistes dans la région, comme en Libye, en Irak et en Syrie.

La clôture de la rencontre a été marquée par la sortie, sous les applaudissements, d’un petit groupe de Sahraouis qui a dû être escorté par des volontaires du Forum.

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Le motif de l’unité des peuples était présent dans de nombreux discours, tout comme le maintien de la diversité culturelle de la région Maghreb-Machrek. Le monde arabe n’est pas homogène et ses luttes spécifiques doivent être respectées. Il faut porter un regard non occidentalisé sur ces peuples, qui ont leur propre façon de s’organiser et de lutter pour leurs droits. Ainsi vont les printemps.

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