S’il existe un thème qui détermine plusieurs programmes de luttes féminines au Brésil, c’est bien celui du droit du corps. Aujourd’hui, cela se traduit en particulier par la lutte pour la décriminalisation de l’avortement, contre le statut du foetus et contre la stigmatisation de l’homosexualité. Plus généralement, cette lutte est associée à d’autres luttes, comme celle pour l’éducation, afin de faciliter la compréhension de ce droit par la société, mais aussi d’en assurer le respect, dans le droit à la santé ; de le protéger, dans la sphère privée comme publique ; de le promouvoir, dans la culture ; de le rendre visible, dans la communication. Il devient alors partie prenante du débat sur l’organisation de l’Etat et de la vie politique nationale.
Dans les manifestations en cours au Brésil, les motifs généraux apparaissent avec davantage de visibilité que les questions de fond, qui sont les véritables moteurs des mobilisations. Le droit du corps implique une confrontation directe avec les fondamentalismes. Il ne s’agit pas seulement d’un conflit individuel, celui de la femme face à des choix portant sur la grossesse et la sexualité et qui, en tant qu’individu fragile, est abandonnée par le collectif. De fait, le corps féminin fait l’objet d’appropriations diverses : par l’Eglise, qui le place comme fondement et sacralise la maternité en en faisant une condition qui soumet la femme et non pas un choix dont elle a le pouvoir ; par l’Etat, qui criminalise des décisions et s’arroge certains droits de la femme ; par le capital et les médias, qui le mercantilisent ; par la société, qui discrimine certains comportements, impose des modèles et des rôles et admet son contrôle par la violence sociale et domestique.
Les femmes sont présentes dans les marches mues par la défense légitime d’une nouvelle culture politique au Brésil et d’une participation populaire directe dans les décisions, une revendication féministe par excellence. Aux côtés des jeunes, elles revendiquent historiquement cet espace politique, ce qui fait d’elles les protagonistes des mobilisations. Il est alors préoccupant que les moyens de communication de masse aient cherché et attiré l’attention, dans le mouvement des rues, sur les pancartes les plus agréables au sens commun, comme si tout se réduisait à une lutte générique et hygiéniste contre la corruption. Et que les secteurs conservateurs aient suivi cette lecture, en voyant dans la rue un mouvement contre les gouvernements de gauche et au caractère pré-électoral.
Le ton réducteur des couvertures, qui n’abordent pas les questions de fond, et le discours réactionnaire qui s’est introduit dans les messages de la rue et des réseaux sociaux n’intéressent pas le mouvement féministe, qui débat aujourd’hui du sens des manifestations et cherche à apprécier les messages populaires dans ce qu’ils portent de libertaire et de rénovateur.
Des assemblées, débats, réunions et actions révèlent un mouvement politisé que les médias ne montrent pas. La lutte idéologique traverse les manifestations analogiques et virtuelles, et en leur sein s’exprime aussi la société misogyne, violente, qui dénigre les femmes, de la présidente de la République aux défenseures du droit du corps. Les femmes marchent auprès des jeunes pour contester les thèmes cristallisés par les grands pouvoirs économiques, politiques, médiatiques, religieux. La nouveauté c’est qu’aujourd’hui, pour se maintenir en vie, ces pouvoirs tentent de marcher, eux aussi.