Pour que tous les médias soient libres

Ouverture du 3ème FLM tenu les 27 et 28 à la Maison de la Culture
Mário Quintana. Photo: Fora do Eixo.

Porto Alegre, berceau du Forum Social Mondial (FSM), a accueilli
récemment une conférence altermondialiste, cette fois dans sa version
régionale, avec pour thème “crise capitaliste, justice sociale et environnementale”. Parmi les diverses activités qui ont pris place dans la ville à la fin janvier 2012, figurait le 3ème Forum du Média Libre (FML) en tant que processus d’échange d’expériences et de construction de stratégies communes dans le domaine de la communication.

La programmation a inclus des exemples et des analyses des mouvements
du Printemps Arabe, de la lutte pour la libération palestine, des indignés d’Espagne et de la régulation des médias au Brésil – suite à la Conférence Nationale de Communication, et en Argentine – où la Loi des Moyens de Communication a été récemment approuvée. D’autres points du débat ont porté sur les “réseaux en réseaux”, nés de multiples expérimentations et ont débouché ensuite sur des perspectives d’appropriation commune de pratiques et de plateformes libres, au service de l’articulation des luttes pour une société plus digne, juste et libre.

Appropriation technologique, droit à la communication et politiques publiques de communication

Le 3ème FML s’est organisé autour de ces trois axes complémentaires. Le premier concerne les pratiques de communication et à la
persistance de la barrière technologique entre émetteur et récepteur
d’information – nous sommes en effet de plus en plus producteurs et
récepteurs d’information, donnant ainsi lieu à des métissages et des
hybridations technologiques et informationnelles de toute sorte. Le second porte sur l’importance de rendre visible les différents
discours sociaux et de garantir leur reconnaissance, en veillant à ce
que la pluralité de nos sociétés puisse disposer d’un cadre de
dialogue élargi et échapper à la dictature de la pensée unique. Le
troisième axe lié aux politiques publiques
est centré sur la nécessité de la régulation des médias au Brésil, où existe un impressionnant contexte de monopolisation de la radiodiffusion, de manque de transparence et de participation sociale dans les processus de
décisions publiques.

Chaque axe est interdépendant des autres: il ne suffit pas en effet de
s’approprier les moyens de communications disponibles, de développer de nouveaux langages et de promouvoir une mobilisation effective et horizontale si les articles de la Constitution Fédérale référant à la communication continuent à être ignorés et limités en réglementation, ou de maintenir la propriété des médias de communication de masse autour d’une petite minorité d’acteurs. Il n’est pas non plus suffisant de garantir la démocratisation des médias s’il n’y a pas de mobilisations, de prises de position et de constructions de discours. Enfin, nous ne pouvons pas avancer durablement dans la lutte pour la démocratisation de la communication sans avoir comme objectif plus global de construire cet autre monde plus juste et digne, où chacun aurait une voix.

Il est important que nous ayons clairement en tête les principes qui nous unissent et les pratiques qui nous permettent de les consolider. Le marocain Mohamed Leghtas, du portail E-joussour, a d’ailleurs partagé son expérience d’appropriation des réseaux sociaux en soulignant l’importance de celle-ci pour l’organisation populaire dirigée contre le régime, et a terminé son témoignage avec le questionnement suivant: à quoi cela sert-il de nous écarter du gouvernement, de camper sur des places publiques, si de telles attitudes ne parviennent pas effectivement à réaliser une
consolidation des apprentissages démocratiques?

Comme le dit le sociologue portugais Boaventura de Souza Santos, dans
une autre activité du Forum Social Thématique, “Attention : le résultat peut-être pire et peut mener à une nouvelle forme de barbarie. Nous voulons une démocratie réelle et participative, mais alors comment la construire?”, a-t-il lancé.

Digital X Analogique et la communication comme lutte transversal

Au moment même où les technologies de communication se popularisent et
gagnent en notoriété dans les mouvements sociaux, comme cela a eu lieu
dans le monde arabe et en Espagne, les “anciennes technologies” continuent d’avoir un rôle indispensable et ne peuvent pas être mises de côté. Ainsi, les radios communautaires et les interventions urbaines utilisent les moyens traditionnels du grafiti, des peintures murales, de l’encre et du papier. “Les médias libres ont existé bel et bien avant le Forum des Médias Libres, et ils ont émergé y compris avant Internet”, relate Renata Miele, du Centre d’Études Barão de Itararé, au cours du débat sur le droit à la communication.

Parmi les résolutions du 3ème FML, figure également la nécessité de
dépasser l’hégémonie d’Internet dans les discussions sur les médias libres et d’y inclure les nombreux mouvements et organisations sociales. João Pedro Stédile, du Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre, a défendu lors de l’Assemblée des Mouvements Sociaux la nécessité de “mener le combat idéologique, de confronter les moyens de communication de masse” pour nous faire dépasser le capitalisme. La concentration des médias et la nécessité de l’articulation et du débat concernent non seulement les mouvements reliés directement à la communication, mais aussi les mouvements d’afrodescendants, de femmes, d’indigènes, d’environnementalistes, de militants de la réforme agraire et urbaine, etc. “Que pouvons-nous faire ensemble pour aller de l’avant?”, a questionné Stédile.

Il est important surtout de rester attentif au fait que simultanément à la montée en puissance des technologies digitales, plusieurs législations restrictives sont en cours d’incubation dans le monde, dans la ligne directe de SOPA (Stop Piracy Act) et de PIPA (Protect IP Act) aux États-Unis et du “Projet de Loi Azeredo” au Brésil. Les technologies digitales ne sont pas les seules à être visées, mais elles sont stratégiques – et la liberté de partage sur les réseaux est
clairement en danger
.

2nd Forum Mondial du Média Libre et Rio + 20

Le 3ème FML s’est achevé sur un grand appel à la construction du
2nd Forum Mondial des Médias Libres (FMML), qui selon Bia Barbosa, du collectif Intervozes, sera “davantage une bataille internationale pour la défense de la communication en tant que droit et bien commun”. La rencontre aura lieu du 16 au 18 juin, à Rio de Janeiro, et constituera une des activités du Sommet des Peuples Rio+20 pour la justice sociale et environnementale – processus animé par la société civile parallèlement à la Conférence des Nations Unies sur le développement durable. “L’idée est que la communication puisse être solidaire des processus de lutte et de résistance des peuples”, a indiqué Tica Moreno, du Groupe d’articulation du Sommet des Peuples et de la Marche Mondiale des Femmes.

La proposition du 2nd FMML est née à Dakar au Sénégal lors du FSM 2011. Les organisations suivantes la soutiennent: Abraço (Association Brésilienne de Radiodiffusion Communautaire, AMARC (Association Mondiale de Radios Communautaires, Ciranda (Cercle International de Communication Partagée), Collectif Soylocoporti, Intervoix, Fora do Eixo, Passerelle de Culture et la Revue Forum. Au niveau international, participent notamment : Caritas, le Portail de Mémoire Audiovisuelle du FSM (WSFTV) et E-Joussour, une agence collaborative du Nord de l’Afrique impulsant un Forum de Médias Libres dans cette région.

L’idée est d’approfondir le dialogue entre les multiples initiatives et résistances pour trouver un point fédérateur autour de la communication. “Le débat qui unit les défenseurs du médialibrisme et de la démocratisation des médias n’est pas un débat corporatiste, mais avant tout une lutte de tous ceux qui souhaitent des changements dans le champ socio-politique de la communication”, a défendu Rita Freire, de la Ciranda Internationale de Communication Partagée. Le Forum Mondial des Médias Libres qui aura lieu durant le Sommet des Peuples esquisse le scénario idéal pour que cette construction commune se consolide.

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