l y a vingt ans, déjà, ce professeur argentin était derrière l’initiative
de créer une radio communautaire au sein
de l’Université de Buenos Aires. Militant de gauche aussi, il s’est investi dans ce domaine et a même poursuivi ses études
dans les sciences de
communication, pour devenir professeur
universitaire. Dans cet entretien réalisé lors de la Rencontre internationale sur les radios
communautaires,
organisée
du 5 au 8 décembre
à Marrakech par
e-Joussour, il souligne
le rôle et la mission des radios communautaires.
Libé : Quelles sont, selon vous, la définition et la mission des radios communautaires ?
Ernesto Lamas : La radio communautaire est une radio qui ne relève pas du dispositif médiatique de l’Etat, ni de l’arsenal médiatique commercial. Il s’agit d’un troisième acteur dans le champ médiatique. Il ne vise pas le profit et s’oriente plutôt vers les questions d’ordre social, et intègre dans ses programmes différents groupes qui n’ont pas accès aux médias pour communiquer et restent ainsi en dehors du circuit de la communication sociétale, leurs préoccupations sociales, économiques et culturelles sont, par conséquent, oubliées, rejetées et marginalisées.
Il ne s’agit pas seulement d’une petite radio, mais aussi de grandes selon les cas de figure et n’est pas comme son nom peut l’insinuer, localisée géographiquement, (rurale, montagne frontière, reculée). On croit que les communautés sont petites, mais ce n’est pas toujours vrai.
Et sa mission ?
La mission d’une radio communautaire est celle d’être une voix publique. Les gens qui n’ont pas accès au système de communication, exclus du système d’information doivent en avoir recours et en faire usage, afin de pouvoir s’identifier, s’exprimer et se manifester. La mission est un exercice concret des droits humains et du droit à la communication. Toute personne a droit à recevoir, écouter et émettre des informations.
Quelle est la contribution des radios communautaires à l’édification de la démocratie ?
En Amérique latine, l’existence des radios communautaires remonte à 1947 (Alternatives et populaires). Durant ces cinquante années d’existence, il y a eu des radios de lutte contre l’analphabétisme, de défense de l’environnement, de la résistance contre la dictature militaire, pour les droits des femmes, pour les droits des enfants, des étudiants, et en définitive, pour que les différents groupes puissent exposer sur ondes leurs problèmes, notamment ceux ayant une relation avec leur exclusion du système démocratique.
A votre avis, quelle est la cause de cette exclusion du système démocratique?
Vous n’êtes pas sans savoir que le système de représentation qui prévaut dans le monde d’aujourd’hui ne garantit pas la représentation de tout le peuple. L’acteur politique se trouve quelque peu dissocié des préoccupations de ceux et celles qu’il est supposé représenter. Si la démocratie participative s’avère une voie plausible dans ce cadre en matière de communication les médias communautaires s’érigent en moyen incontournable pour l’expression des besoins des populations locales et leurs aspirations à tous les niveaux. C’est un champ d’expression des droits politiques, économiques, sociaux, culturels et linguistiques (il y a une centaine de langues locales en Amérique latine). Bref, les médias communautaires planchent sur des sujets que les médias d’Etat et les médias commerciaux n’abordent jamais, sinon rarement, (ouvriers, mineurs, corruption, pauvreté, dépravation politique…).
Quelle est la situation des radios communautaires en Argentine ?
Je veux bien vous relater mon expérience. A 21 ans, moi et d’autres camarades avons créé une radio communautaire à l’Université. On a senti que nous n’étions pas représentés, nos problèmes n’étaient pas exposés par les médias publics et privés, nos opinions n’étaient pas prises en considération, notre musique préférée n’était pas diffusée. Bref nos choix dans la vie ne relevaient pas de la grille des programmes des médias en place.
Par la suite, et avec l’expérience acquise en matière professionnelle et managériale, j’ai eu l’idée de créer une société pour la mise en place d’une radio communautaire à but non lucratif, mais qui revêt un caractère professionnel, à même de permettre le recrutement d’autres personnes…
Mais d’où vient l’argent?
Nous ne voulons pas gagner en tant que patrons, mais seulement créer une sorte de coopérative non capitaliste. Notre société existe et fait travailler vingt personnes. Il y avait seulement une licence dispensée par les autorités, puisqu’il n’y avait pas de loi à ce sujet. Mais depuis deux ans, l’Argentine dispose d’une loi à l’élaboration de laquelle, les radios ont pris part.
Combien de radios communautaires existe-t-il en Argentine actuellement?
Il y a près de 200 radios communautaires, et l’on a encore du chemin à faire. Nous devons nous imprégner des besoins, affronter les problèmes et leur trouver des solutions. C’est l’exercice qui fait émerger les pistes de travail. Toutes les radios bénéficient de subventions en fonction des fréquences, de la couverture, et profitent également de l’accompagnement technique et de la formation.
Quel est votre avis concernant le projet de e-Joussour et Forum des Alternatives Maroc (FMAS) ?
L’initiative est très importante, même s’il n’y a pas encore de loi la régissant. Toutefois, il faut initier ce genre de projets pour préparer la société civile et la doter d’outils à même de la propulser dans un monde qui fera l’avenir des médias à l’échelle internationale. Vous savez, s’il y a une nécessité d’expression, il faut avoir une radio, elle est le meilleur médium à mon avis. Par exemple, le Mouvement du 20 février chez vous n’a pas eu d’accès aux médias officiels et privés, donc ses militants devaient chercher un moyen d’expression à travers ce genre de radios. C’est un moyen de traduire dans les faits le droit à l’information des citoyens. Un peu partout dans le monde, la radio communautaire qui représente le troisième type de communication, en plus des médias de l’Etat et ceux à caractère privé et commercial, est l’expression pratique de ce droit international appelant à l’accès à l’information. Chose garantie par les textes et conventions de l’ONU et de l’UNESCO. Les radios communautaires sont devenues incontournables et du coup, l’Etat ne doit pas se contenter uniquement de les autoriser mais aussi permettre leur mise en valeur à travers le financement et la promotion.
Mercredi 14 Décembre 2011