La information alternative au service des mobilisations politiques et sociales

Traduction du portugais par Susana Cohen – Argentine

A l’initiative de Ritimo – une organisation française de communications au service de la solidarité internationale et du développement durable –, de Ciranda et d’Intervozes –organisations brésiliennes – a eu lieu à Dakar un séminaire rassemblant des médias de plusieurs pays, le premier jour des activités autogérées du FSM. Pour construire « un monde moins inégal qui donne la parole aux exclus » – nous signale Myriam Merlant de Ritimo – « ces organisations s’avèrent essentielles dans la contre-expertise qu’elles offrent par rapport aux grands médias ». Le séminaire, composé de trois moments, a eu par but l’échange d’expériences et la proposition d’actions de manière conjointe, en vue de l’organisation d’un nouveau Forum Mondial des Médias Libres.

Dans un premier temps, les intervenants ont dressé un panorama des nouveaux médias dans leurs continents, relatant des expériences suivies en Afrique, en Amérique Latine, en Asie et en Europe. En France, où il y a de bonnes lois qui garantissent la liberté d’expression, « la réalité nous montre que la liberté de presse n’est pas aussi grande que cela », comme le signale Philippe Merlant, de Reporter Citoyen. Selon le journaliste, la classification des pays selon leur degré de liberté de la presse, mesurée annuellement, montre dans ce pays européen une chute de la position 31 à la position 44. « Actuellement, la moitié des français pensent que les choses ne se passent pas comme les médias le disent, 66% trouve que la grande presse est sous le pouvoir des politiciens. Ce sont principalement les classes populaires qui donnent de moins en moins de crédit aux grands médias ».

La concentration des médias est aussi arrivée à la France, au cours de ces dernières années, notamment par les nouveaux décrets de Sarkozy, dont l’un stipule que les désignations dans la direction de la télévision publique appartiennent au gouvernement. « Au cours des trente dernières années, les petits médias n’existent plus », raconte Philippe. Les informations se concentrent dans les grands médias, dont les propriétaires sont, par exemple, des grands fabricants d’armes et d’avions ; un autre investisseur dans les médias est un investisseur dans l’exploitation des mines en Afrique. « Nous sommes de plus en plus dépendants des grands médias, mais ce n’est pas le seul problème », continue le journaliste de Reporter citoyen. « Auparavant, les mouvements sociaux se réjouissaient lorsqu’un nouveau média apparaissait ; aujourd’hui les mouvements veulent maintenir éloignés les médias et les gens se demandent pourquoi les couvertures sont les mêmes dans tous les médias ».

On connaît bien cette histoire au Brésil, et les similitudes ne s’arrêtent pas là. « On essaye de produire l’information au coût le plus bas possible, il n’y a plus de reportages ; les journalistes ont le même profil social : la plupart appartient à des classes sociales aisées et sont formés aux mêmes écoles ». Selon Philippe, il existe aussi le « mythe de l’individu » qui détermine l’histoire. « Pour les médias, c’est l’individu qui construit la société et non pas la société qui construit l’individu ; l’on privilégie les événements sur le contexte historique et l’on communique une pensée utilitariste. Le lecteur est un consommateur, il n’est pas un citoyen ».

L’Amérique latine, l’Afrique, la même chose

En Amérique latine, le système de communication suit le modèle des médias privés des États-Unis et non celui des médias publics de l’Europe, disait Sally d’ALAI – Agence latino-américaine d’information. « Les médias communautaires – qui sont surtout des radios – cherchent à remplir l’espace des médias publics, mais ils restent encore marginaux et petits ». Ces quinze dernières années, du côté sud de la planète « on parle plutôt du droit à la communication que du droit à l’information », lorsqu’un mouvement de lutte se renforce par ce droit essentiel. Ce sont les grandes entreprises, plutôt que les gouvernements, qui dirigent la communication et le débat s’est accru avec les gouvernements de gauche. Sally remarque les exemples de l’Argentine et du Venezuela, où les grandes mobilisations ont influencé dans cette direction et où ce sujet touche les mouvements sociaux qui perçoivent déjà la nécessité de créer leurs propres médias.
Dans sa qualité de participante à la commission de communication du FSM, Rita Freire, coordinatrice de Ciranda, a signalé l’importance pour que le Forum Social Mondial soit porteur d’un message pour la démocratie dans nos médias. Montrant les contrastes qui existent au Brésil, Rita a fait la remarque sur la criminalisation de la pauvreté et la mercantilisation dans les médias, distordant la réalité, l’image de la femme, cachant la majorité afro-brésilienne, bafouant les droits de l’enfance. « Au Brésil un mouvement pour que cette situation se modifie s’est mis en marche. Engendré par les activistes de la communication, les médias alternatifs et les journalistes liés aux mouvements sociaux, ce mouvement a produit un appel pour que la société brésilienne comprenne qu’une telle structure de communication n’est pas naturelle, n’est pas démocratique et qu’il faut la modifier ».

Le résultat de cette mobilisation a été l’appel du gouvernement brésilien à une conférence nationale de communication réalisée à Belém à l’occasion du dernier FSM, comme Rita le raconte. « Cette conférence a dévoilé jusqu’ à quel point nous sommes encerclés et contrôlés par les grands médias du Brésil qui ont passé toute l’année à essayer d’empêcher la réalisation de cette rencontre ». La journaliste rappelle que même si pendant la dernière période, quelques 3 mille radios communautaires ont fermé au Brésil et que les grands médias continuent de criminaliser les médias populaires, il existe aujourd’hui un processus concret d’articulation entre les petits médias, devenus des agents pour défendre des politiques nouvelles de communication dans notre pays.


Information alternative en Afrique

Pour Alymana Bathily, de l’Amarc – Sénégal, « actuellement en Afrique il existe un pluralisme des médias, mais que depuis le milieu des années 90, grâce aux luttes des mouvements sociaux et aux révolutions, parfois violentes, comme celle du Mali ou la conquête de la fin de l’apartheid en Afrique du Sud. On a vu naître des médias pluriels en marge des médias de l’État, les seuls à une certaine époque, lorsqu’il n’existait rien de privé. Ici, au Sénégal, nous avons quinze journaux ; en 1995 il y avait dix radios communautaires dans toute l’Afrique, aujourd’hui nous en avons 200 ». La télévision privée s’étend partout en Afrique, au Sénégal seulement il y a une demi-douzaine de chaînes, ce que Alymana considère comme beaucoup pour un petit pays (12 millions d’habitants). Selon l’activiste, il y a une grande diversité, il y a des journaux pro gouvernement, d’autres contre, des journaux d’opinion, religieux, etc.

Une autre nouveauté, selon lui, est l’Internet, bien qu’il ait peu pénétré dans l’Afrique sub-saharienne (5 ou 6% de la population), en comparaison avec l’Afrique du nord. « L’Internet se développe de manière lente, pourtant il est bien utilisé par les radios communautaires (62% d’accès) et par les mouvements sociaux. Une autre chose est le téléphone portable : la moitié de la population africaine y a accès, ce qui fait une énorme différence, même s’ils ne peuvent pas l’utiliser de manière très créative. Jusqu’à il y a peu de temps c’était difficile pour les journalistes de sortir de leur bureau et de faire passer à distance l’information aux rédactions ». Un exemple : les dernières élections, les journalistes ont pu faire la couverture partout, ce qui a permis le triomphe de l’opposition. D’un autre côté il existe tout un arsenal de lois sur la diffamation et les calomnies contre les Chefs d’État, ce qui fait que les journalistes pratiquent l’autocensure. La formation des journalistes est un autre problème, ainsi que le manque d’équipements, principalement pour les radios communautaires.

Mohammed Legtas travaille à E-Joussour, au Maroc, un projet des mouvements sociaux pour coordonner des actions en Afrique du Nord et au Moyen Orient. Dans cette région « l’ambiance est hostile pour les droits des femmes, pour la liberté d’expression, les médias conventionnels sont totalement contrôlés par l’État, et fréquemment les journalistes sont envoyés en prison ». Le développement des médias alternatifs, tel que l’Internet, a fait naître de nouveaux militants. Ceux-ci qui ont appris à développer de nouvelles plateformes, ont réussi, par exemple, à filmer les soldats en recevant de l’argent issu de la corruption. Mohammed rappelle que dans les événements récents en Tunisie, le portable a eu un rôle primordial, même si le 3G n’avait que huit mois dans le pays. Il est très important de promouvoir la radio et la télévision par le Web à cause de l’analphabétisme.

E-Joussour n’est pas uniquement un site d’information. « Nous sommes très actifs dans la dynamisation des mouvements sociaux, nous travaillons beaucoup avec la traduction, afin que la population arabe puisse accéder à la connaissance et aussi à l’utilisation de la vidéo, même avec le portable. Nous utilisons le software libre, le plus facile d’utilisation, et nous enseignons à éditer et à publier ». C’est ainsi qu’on a réussi à publier beaucoup de choses sur ce qui est arrivé en Tunisie et en Égypte. Mahmoud El-adawy de Video-maker d’Egypte nous dit que le chemin a été montré par les Tunisiens. « Pendant longtemps, nous n’imaginions pas qu’en Egypte pouvait se produire une révolution. Nous militions sur Facebook en échangeant des informations auxquelles nous en avions accès, et c’est encore plus ironique,, d’autant plus que nous avons découvert que cela nous permettait de réaliser notre rêve d’action conjointe ». Pour l’Egypte, voir l’interview de Mahmoud pour Ciranda.

Maris de la Cruz, de Network for Transformative Social Protection, Philippines, dit que son réseau travaille pour la dignité et la vie des personnes, mais ils se sont aperçus de l’importance de lutter pour la communication. Le travail a été entamé en 2009 en rejoignant plusieurs mouvements, en Thaïlande, en Tunisie et au Vietnam, en plus des Philippines. L’idée est de parvenir à « la garantie des droits et consolider les mouvements sociaux, aider les pauvres à conquérir une force collective, économique et politique, avec des bénéfices concrets, et les transformer en acteurs du mouvement social ». Pour elle, le processus d’information a été fondamental dans la lutte pour tout autre droit. La constitution de 1987 garantit le droit des personnes à l’information et déclare comme nécessaire la totale transparence de l’État, cependant, jusqu’à présent le Congrès n’a pas réglementé cette loi. C’est celle-là la une des luttes de la société civile depuis 2000. « On lutte pour construire des médias alternatifs, mais l’influence des entreprises privées dans le gouvernement constitue une barrière très forte ; les grands médias ne diffusent que des informations utiles pour eux ».

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