Nous, Frei Betto, Atilio Borón, Bernard Cassen, Adolfo Perez Esquivel, Federico Mayor, Riccardo Petrella, Ignacio Ramonet, Emir Sader, Boaventura Santos, Roberto Savio, Aminata Traoré, sommes les signataires de la Déclaration de Porto Alegre, publiée à l’occasion du Forum Social Mondial de 2005. Depuis, nous avons perdu des amis formidables (Samir Amin, Eduardo Galeano, Samuel Ruiz Garcia, François Houtart, José Saramago, Immanuel Wallerstein). Nous avions partagé beaucoup avec eux et nous sommes sûrs de ce qu’il penseraient aujourd’hui. Mais ceux qui sont toujours vivants ont décidé d’envoyer un message au FSM afin de donner quelques éléments stimulants de réflexion. L’objectif de cette initiative a été excellemment exprimé par le prix Nobel Adolfo Perez Esquivel : ‘Merci de cette initiative qui veut faire revivre l’espoir et la force du FSM. Nous avions pensé à quelque chose de similaire, à trouver un chemin qui nous identifie à la diversité de pensée et d’action face aux défis de notre époque. Chers frères, je me joins à vous avec ma signature. Je vous embrasse’.
Le Forum social mondial fêtera ses 20 ans d’existence en 2021. N’est-il qu’un espace ouvert ou devrait-il être aussi un espace d’action? Cette question a été discutée pendant des années au Conseil international du FSM, et jusqu’à présent, il n’a pas été possible d’arriver à une conclusion.
Au FSM de Porto Alegre, en 2005, quelques-uns d’entre nous ont lancé le «Manifeste de Porto Alegre» en exprimant leur inquiétude face à la marginalisation croissante du FSM sur la scène mondiale. Nous savions que cela enfreignait la règle du Forum interdisant de faire des déclarations, mais nous estimions que ce serait une façon d’apporter les riches débats de Porto Alegre à la politique internationale. L’année suivante, l’ « Appel de Bamako » a été lancé dans le même esprit. Aucun de ces appels n’a reçu de réponse.
Quinze ans plus tard, nos préoccupations se sont révélées bien réelles. Le Forum avait débuté en 2001 avec le travail généreux et visionnaire du groupe brésilien et le soutien qu’il a reçu pendant la présidence de Lula. L’internationalisation progressive a amené le FSM sur tous les continents. L’idée d’ouvrir un espace pour les mouvements sociaux et pour les intellectuels critiques échangeant des expériences et des idées, pour contester l’hégémonie du néolibéralisme, était révolutionnaire. Cela a eu un impact mondial significatif. Contrevenant à la menace d’une guerre américaine contre l’Irak, le FSM a démontré son immense potentiel en appelant à des marches massives et mondialement coordonnées pour rejeter la guerre. Cependant, ce type d’initiatives n’a pas eu de suite.
Malheureusement, même maintenant, près de deux décennies plus tard, le FSM n’a accepté aucun changement de ses règles ou de ses pratiques. L’idée de l’espace ouvert interdit d’interagir avec le monde extérieur en tant qu’acteur politique mondial. Elle a marginalisé le Forum. Il n’est plus un point de référence. Ces dernières années, au moins trois grands mouvements populaires ont mobilisé des millions de personnes à travers le monde: la lutte contre le changement climatique, pour l’égalité des sexes et contre le racisme. Le FSM y a été totalement absent en tant que sujet politique mondial. Cependant, l’idée fondatrice du FSM de combattre le néolibéralisme à partir d’une vision holistique (et de manière non sectorielle) n’a perdu ni sa force ni sa validité. Il en va de même pour les luttes des FSM contre le colonialisme et le patriarcat, appelant au respect de la nature et des communs. Tous ces éléments continuent de nous parler aujourd’hui.
Il est impératif d’agir. Le monde a changé, et pas pour le mieux. Aujourd’hui, non seulement nous faisons face aux conséquences dévastatrices de quarante ans de capitalisme néolibéral, mais nous sommes également dominés par les marchés financiers et menacés par un changement climatique rapide qui pourrait rendre la vie humaine impossible sur Terre. La pauvreté de masse et les inégalités croissantes divisent nos sociétés, tout comme le racisme et la discrimination.
La résistance s’amplifie également. En 2019, nous avons assisté à une forte augmentation des mouvements, principalement de la jeunesse, dans de nombreuses grandes villes du monde. Les jeunes savent que le vieux monde est en train de mourir et ils sont impatients de construire un autre monde juste et pacifique, où tous les hommes et toutes les femmes sont égaux, préservant la nature et avec une économie subordonnée aux besoins de la société. Ils préparent de nombreuses alternatives, mais ils manquent d’un espace dans lequel ils peuvent se réunir, pour construire des discours mondiaux communs, basés sur des expériences de terrain, capables de conduire des actions futures. Les militants progressistes et les universitaires sont si fragmentés qu’ils risquent non seulement de perdre la bataille, mais aussi la guerre.
COVID-19 s’ajoute à toutes ces crises déjà existantes. Pour la première fois le virus affecte tout le monde simultanément, mais pas avec la même intensité. Le monde est devenu un village dans lequel nous sommes tous interdépendants. Jamais auparavant il n’a été aussi clair que nous devons agir et que nous devons le faire ensemble. Le Forum Social Mondial a toujours un potentiel important pour donner la parole aux mouvements, pour les aider à situer leurs alternatives dans un contexte global et pour permettre une convergence des discours et des pratiques. Pour cette raison, nous qui avons participé au FSM depuis sa création, qui avons signé les déclarations de Porto Alegre et de Bamako, appelons à un «Forum social mondial renouvelé». Nous sommes confrontés à une crise mondiale multidimensionnelle; des actions locales, nationales et mondiales sont nécessaires, avec toute l’articulation nécessaire entre ces niveaux. Le FSM est le cadre idéal pour encourager l’action. Voilà le but de cette initiative.
Voir aussi: https://www.cartamaior.com.br/?/Editoria/Movimentos-Sociais/%27Chamada-de-Bamako%27-convoca-o-Sul-a-luta-contra-imperialismo-economico-e-militar/2/8565
Photographier: Debate lança de Bamako lança chamado contra o imperialismo [Bia Barbosa/Carta Maior/2005]