Nous poursuivons notre série d’information sur l’actualité des médias avec ce numéro spécial couvrant la période de mai et juin 2020, marquée par les difficultés de nombreux groupes de presse et d’audiovisuel.
Du côté des entreprises médiatiques et de leurs propriétaires
– Covid-19 : les médias audiovisuels en difficulté – Libération (30/04) revient sur les difficultés qui s’accumulent pour les médias audiovisuels, dans un contexte de retrait des annonceurs. « Avant même la pleine période de confinement, les chiffres d’affaires publicitaires de TF1, M6 ou NRJ se sont effondrés » explique le quotidien, évoquant des plans d’économie drastiques en préparation dans les trois groupes, mais également au sein du groupe Lagardère (Europe 1, Virgin, RFM, Paris Match, le JDD…). À l’inverse, note Libération, Facebook se porte très bien, avec des recettes publicitaires au même niveau que l’an dernier…
– Plan social et grève à NextRadioTV (RMC/BFM-TV) – Le groupe NextRadioTV a présenté le 20 mai un « plan de transformation et de reconquête post-Covid » avec à la clé… de nombreuses coupes dans les effectifs. La filiale du groupe Altice, propriété de Patrick Drahi, justifie un tel plan social par la chute des recettes publicitaires qui a affecté de nombreux médias. D’après l’intersyndicale du groupe (28/06) ce sont près de 400 postes en CDI et 200 pigistes qui seraient menacés, soit un tiers des effectifs. Les salariés du groupe se sont mis en grève du 24 au 29 juin. Les syndicats ont obtenu de la direction l’engagement d’un « plan de départs volontaires » portant sur 300 CDI au maximum, et aucun licenciement économique contraint… jusqu’au 30 novembre 2021. Plus tôt dans le mois, Capital (08/06) revenait sur la manière dont Patrick Drahi et son bras droit Alain Weill, à la tête de NextRadioTV, s’étaient enrichis en faisant déménager leurs sociétés dans un immeuble dont ils étaient propriétaires. Plus récemment, Business Insider faisait état des protestations au sein du groupe face à la rémunération mirobolante octroyée à Alain Weill. Bref, ce n’est pas le scrupule qui étouffe les dirigeants de NextRadioTV.
– Le Parisien amoindrit drastiquement ses éditions locales – En difficulté économique à la suite de la crise du Covid-19, le quotidien Le Parisien réduit drastiquement ses éditions locales. D’après Les Échos (16/06), les informations départementales d’Île-de-France, « jusqu’ici déclinées en neuf cahiers, seront regroupées dans un seul cahier. » Une information locale moins traitée qui permet – c’est tout l’objectif – la suppression de « 30 postes à la rédaction, sur un total de 435 journalistes. » En réponse, les journalistes du quotidien se sont mobilisés, notamment en publiant un lettre ouverte. Les journalistes du Parisien y critiquent l’absence de soutien de leur richissime actionnaire (LVMH) et soupçonnent la direction du journal de prendre opportunément la pandémie comme prétexte : « Nous n’appartenons pas à une entreprise comme une autre. Il suffit seulement d’un chiffre pour le rappeler. LVMH, c’est 7,2 milliards d’€ de bénéfices en 2019. Un résultat qui laisse espérer que le groupe se remettra de l’impact financier qu’aura eu sur lui la crise du Covid-19. Les décisions prises ces dernières semaines nous font craindre que la direction puisse profiter de la crise sanitaire pour acter des idées qui miroitent sans doute dans ses réunions depuis longtemps. » De son côté, fidèle aux antiphrases des patrons de presse, le PDG du groupe Les Échos – Le Parisien Pierre Louette a déclaré à propos de cette saignée : « C’est un projet d’ambition, pas de rétractation ! »
– Denis Olivennes nommé directeur général de Libération – Le 14 mai, Altice France annonçait la création d’un fonds de dotation à but non lucratif dans lequel il transférera la société éditrice de Libération. Dans un communiqué, le groupe s’engage à éponger les dettes du journal et à « lui donner, progressivement, les moyens nécessaires au financement de son exploitation future et ainsi garantir son indépendance à long terme ». Bien que cette décision ait été saluée par la société des journalistes et du personnel de Libération (SPJL), cette dernière a tout de même critiqué l’absence de concertation avec la rédaction et réclamé « des garanties juridiques, financières et sociales ». Rebondissement le 11 juin : Altice annonce la nomination de Denis Olivennes comme nouveau cogérant, avec Laurent Joffrin. Un article de Libération publié le jour même fait état des objections de la rédaction. Auquel l’homme d’affaires a tenté de répondre, affirmant qu’il n’était pas là pour réduire les coûts, ni pour imposer ses opinions politiques « de gauche libérale » (sic) ou comme « cheval de Troie de Daniel Kretinsky ». Olivennes siège en effet au conseil de surveillance de CMI France, le groupe de presse du milliardaire tchèque. Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent…
– L’Équipe présente son « plan de sauvetage » – Comme de nombreux titres de presse, le quotidien sportif est lourdement touché par la chute des recettes publicitaires et des ventes. Comme l’indique 20 minutes, la direction a proposé à ses salariés un accord incluant notamment diminution des salaires et du nombre de RTT ; diminution qui concerne également les salaires des dirigeants. En cas de refus des salariés, une procédure le licenciement pourra être engagée.
– Tensions à Ouest-France autour de la situation des correspondants locaux de presse (CLP) – Arrêt sur images (13/06) revient en détail sur la condition de ces « soutiers » qui prennent en charge une grande partie de l’information locale « sans carte de presse, bureau ou matériel, payés à la tâche pour quelques centaines d’euros par mois ». L’article évoque l’initiative d’un collectif d’une soixantaine de correspondants locaux, exigeant publiquement à la direction de Ouest-France « une aide de leur employeur de fait et une révision de leur statut ». Les CLP, dont le nombre est estimé entre 20 000 et 35 000 selon les comptages, ont été frappés de plein fouet par la crise du Covid, perdant « la quasi-intégralité de leur revenus pendant plusieurs mois, sans aucun recours ».
– Modération des contenus : Facebook dévoile un « Conseil des sages » – Quels contenus sont les bienvenus sur Facebook et lesquels ne le sont pas ? Pour résoudre cette épineuse question, Facebook a décidé de créer un « comité indépendant de surveillance ». Composé de personnalités diverses, universitaires, journalistes, juristes notamment, celui-ci aura le rôle de trancher les litiges entre le réseau social et ses utilisateurs. Le journal en ligne Stratégies précise que Facebook « ne pourra pas révoquer les membres ou le personnel du conseil. » La modération des contenus est un problème ancien pour le réseau social. Récemment, des employés de Facebook ont reproché à leur PDG Mark Zuckerberg de ne pas intervenir suite à de nouveaux propos provocateurs de Donald Trump (Le Monde, 01/06).
– TF1 condamné pour travail dissimulé et licenciement abusif – Plus de 35 années de travail en tant que journaliste pour TF1, mais il n’est pas considéré comme salarié de la chaîne. C’est ce qu’a vécu Bruce Frankel. Comme le raconte Le Monde (28/05), le journaliste enchaîne les postes à l’étranger jusqu’à fin août 2017, date à laquelle il subit « un licenciement soudain, à l’occasion duquel [il] découvre que la chaîne ne le considère pas comme l’un de ses salariés. » Bruce Frankel porte l’affaire aux prud’hommes de Boulogne-Billancourt. En mai 2020, ce dernier « lui a donné raison, condamnant la chaîne pour travail dissimulé et licenciement sans cause réelle et sérieuse. »
Du côté des journalistes
– Publi-reportage au 20h de France 2 – Arrêt sur images (26/05) revient sur un nouveau cas patenté de publi-reportage au JT de la télévision publique. Au programme, un sujet présentant une jeune femme souhaitant, avec sa famille, « s’échapper de la capitale »… en oubliant au passage un « détail » : la jeune femme en question est une des fondatrices de la start-up « Paris, je te quitte », prodiguant des conseils immobiliers aux Parisiens sur le départ, ou aux entreprises souhaitant attirer lesdits Parisiens. Dont le discours est allègrement repris dans le sujet. Un genre de publireportage déjà pratiqué par le JT de TF1, comme nous l’avions documenté dans un précédent article. Et une belle page de pub sur mesure offerte par le service public !
– Nassira El Moaddem « fait doublon » sur BFM-TV – Invitée sur un plateau de BFM-TV pour évoquer la manifestation du 2 juin contre les violences policières à l’initiative du collectif La vérité pour Adama, la journaliste Nassira El Moaddem a finalement été décommandée. Sur Twitter, elle explique que la chaîne lui a fait savoir qu’elle « ferait doublon » avec la chercheuse Maboula Soumahoro, également présente sur le plateau. Pourtant, ce ne sont pas les doublons qui dérangent la chaîne d’info quand il est question, chaque jour, d’inviter des éditorialistes droitiers ou des porte-voix de la Préfecture…
– Le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) rend ses premiers « avis » – Arrêt sur images (20/05) revient sur les premiers avis du CDJM. Le premier répond à plusieurs saisines concernant une interview de Juan Branco par Apolline de Malherbe. La journaliste de BFM-TV est épinglée par le CDJM, sa conclusion de l’interview étant jugée contraire à l’exigence d’impartialité. Le second avis concerne une Une de Paris Match figurant l’arrestation de Piotr Pavlenski, menotté. Le CDJM considère cette fois qu’aucune règle de déontologie n’a été enfreinte car la photo livrerait une information « d’utilité publique ». Bref, comme le note ASI, deux avis rendus « à grands renforts de pompeux verbiage juridique »… et à la légitimité plus que discutable. Dans un précédent article, nous expliquions pourquoi Acrimed n’a pas rejoint le CDJM.
– Bar de Sevran prétendument interdit aux femmes : David Pujadas et Delphine Ernotte (France 2) seront jugés pour diffamation – Un reportage de 2016, diffusé dans le 20h de David Pujadas, affirmait que les femmes n’étaient pas les bienvenues dans un bar de Sevran. Selon l’AFP (19/06), « quatre personnes dont la présidente de France Télévisions et le présentateur du journal de France 2, sont renvoyées en procès pour diffamation » suite à une plainte du propriétaire du bar visé. Comme le rappelle la dépêche, plusieurs médias ont publié des contre-enquêtes dénonçant le sujet de France 2. Deux numéros notre actualité des médias (mars 2017 et février 2018 revenaient en détails sur cette affaire).
Du côté des autorités et du droit d’informer
– La loi sur les contenus haineux retoquée par le Conseil constitutionnel – Mi-mai, Mediapart (14/05) revenait sur l’adoption de la proposition de loi de la députée LREM Laetitia Avia, « qui oblige le retrait en 24 heures des propos manifestement discriminatoires ou injurieux, ou faisant l’apologie de crimes contre l’humanité ». Critiquée par des associations telles que La Quadrature du Net pour les dérives qu’elle rend possibles en termes de censure, la loi a finalement été retoquée par le Conseil constitutionnel. Comme le note Le Monde (18/06), sa disposition-phare, l’obligation de retrait des contenus illégaux, a été jugée incompatible avec la Constitution.
– Le ministère de l’Intérieur facilite les pressions sur les journalistes qui informent sur l’environnement – Des intimidations et pas de soutien politique. C’est ainsi que le journaliste du Monde Stéphane Foucart résume la situation actuelle des journalistes qui travaillent sur l’environnement (6/06). Pire : dans certains cas, l’État soutient les pressions. Par exemple, « le ministre de l’intérieur Christophe Castaner a créé au sein de la gendarmerie une “cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole”, baptisée Demeter. Dans les faits, cette cellule […] est fondée à agir contre les individus se livrant à “de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole.” […] Il s’agit, là encore, d’intimider des militants environnementalistes. Des riverains ou des apiculteurs protestant contre les épandages de pesticides reçoivent la visite des gendarmes, des membres d’associations sont convoqués pour avoir parlé à la presse. »
Frédéric Lemaire/Benjamin Lagues/Acrimed