À Paris, un projet de Maison des médias libres

Alors qu’il existe, par exemple, un Newseum à Washington, lieu public dédié à la liberté de la presse, il n’y a rien de tel en France, et a fortiori dans sa capitale, Paris. Aucune exposition permanente consacrée à l’histoire d’une liberté fondamentale, accessible pour tous les publics et prolongeant toute l’année, au-delà de la traditionnelle semaine annuelle sur la presse à l’école, l’information de la jeunesse sur une question aussi essentielle pour la vitalité démocratique. Aucun lieu commun de partage des expériences, de réflexion et de débat, d’atelier et de formation, etc., alors même que la révolution numérique transforme profondément l’univers médiatique, ses métiers, ses pratiques professionnelles et ses modèles économiques. Aucun endroit ouvert en permanence au public pour réfléchir ensemble à la marche du monde, à sa compréhension et à sa connaissance, à l’heure des fausses nouvelles, des propagandes et des mensonges.

C’est ce manque que veut combler le projet du Transfo – Maison des médias libres, se voulant la maison commune de l’échange et du partage autour de l’information au XXIe siècle. Que le hasard d’un bâtiment historique, héritage de la précédente révolution industrielle, celle de l’électricité, permette que ce lieu émerge sur le territoire du onzième arrondissement de Paris ne doit rien au hasard d’un point de vue symbolique. Les quelque cinq cents ouvriers et artisans qui ont donné leur vie, en juillet 1830, pour la liberté de la presse contre les ordonnances de Charles X et qui reposent sous la colonne de Juillet au centre de la place de la Bastille, venaient pour beaucoup de ces quartiers du Paris populaire. Plus près de nous, les locaux de Charlie Hebdo où eut lieu le terrible massacre d’une rédaction par la haine de la liberté, en janvier 2015, étaient situés dans le onzième arrondissement.

La nécessaire confidentialité d’un concours public, devant un jury composé d’élus, de fonctionnaires et d’experts qualifiés, ne permet pas de rendre public l’ensemble du dispositif, qu’il s’agisse du fonctionnement du lieu, de ses choix architecturaux ou de son fonctionnement financier. Sauf à déroger aux règles déontologiques d’une compétition loyale, il était impossible de communiquer largement, par exemple avec un site dédié – ça ne pourra être fait qu’en cas de succès final. Tout au plus peut-on, à ce stade, en présenter les grandes lignes, les objectifs et les principes. C’est ce qui a été fait le 18 juin, lors d’une réunion ouverte à tous les médias intéressés, en présence des architectes du cabinet OdC fondé par Olivier de Certeau, d’Olivier Legrain, d’ETIC, d’Agnès Rousseaux et de François Gèze qui coordonnent son comité de pilotage.

La liste des médias s’engageant à soutenir ce projet, à l’animer et à y participer, sera connue lors du dépôt du dossier définitif, le 1er août prochain. Ceux qui résideront dans le lieu devront prendre en charge ses frais de fonctionnement. Une plaquette a été diffusée à cette occasion dont voici le contenu (en PDF ici : Pour une Maison des médias libres à Paris (pdf, 1 B)) :

Qu’est-ce que « Le Tranfo – Maison des médias libres » ?

> Un lieu démocratique dévolu à la liberté de la presse
Il n’existe pas à Paris d’espace ouvert au public incarnant cette liberté fondamentale, si fragile et si malmenée de nos jours. Le Transfo sera ce lieu, accueillant expositions, formations, ateliers, conférences, projections, débats et rencontres.

> Un lieu professionnel rassemblant des médias indépendants
L’identité et l’animation du Transfo seront garanties par des médias résidents (ayant leurs bureaux sur place) et des médias usagers (utilisant ses espaces collectifs). Ils partagent des valeurs d’indépendance, au service du droit de savoir du public.

> Un lieu public de rencontre et d’échange autour du journalisme
La crise de confiance envers les médias et les défis d’une information instantanée appellent un questionnement du journalisme. Le Transfo fera vivre ce débat en mettant en avant les pratiques les plus exigeantes et les plus novatrices.

> Un lieu au service de la dynamique du quartier
Le Transfo prévoit de co-construire les espaces ouverts au public avec les différents acteurs du quartier et de l’arrondissement : riverains, commerçants, professionnels de la culture, écoles, collectivité…

> Un lieu de formation aux défis de la révolution numérique
La révolution technologique bouleverse nos relations sociales en même temps que l’économie des médias. Le Transfo sera un lieu de formation continue pour y faire face, destiné à la jeunesse scolarisée autant qu’aux professionnels.

> Un lieu de promotion d’une économie solidaire et durable
Né de la rencontre entre un mécène et une vingtaine de médias indépendants, avec le renfort d’ETIC – Foncièrement responsable, Le Transfo défend une vision éthique de l’économie, où le profit doit d’abord bénéficier à l’intérêt général.

« Le Transfo – Maison des médias libres » : pour quoi et pour qui ?

« La publicité de la vie politique est la sauvegarde du peuple. »
Jean-Sylvain Bailly, premier maire de Paris, 1789.

« Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre. »
George Orwell, préface à La Ferme des animaux, 1945.

« Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »
Article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948.

Le droit de savoir et la liberté de dire sont deux principes fondamentaux d’une démocratie véritable, forte et vivante. L’ambition du Transfo – Maison des médias libres est de les défendre et de les promouvoir grâce à la coopération de professionnels de l’information se mettant au service du public.

> La liberté de la presse est un droit des citoyens.

Le droit à l’information, à la libre expression et à la libre critique, ainsi qu’à la diversité des opinions est une liberté fondamentale de tout être humain. Sans information libre sur la réalité, ambitieuse dans ses moyens et pluraliste dans ses fins, il ne saurait y avoir d’authentique délibération démocratique. Régime de tous les citoyen.ne.s, sans privilège de naissance, de diplôme ou de fortune, d’origine ou de genre, une démocratie vraie suppose que toutes et tous soient pareillement informés pour être libres dans leurs choix et autonomes dans leurs décisions.

De ce droit du public à connaître les faits et les opinions procède l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes. Leur première obligation est à l’égard de la vérité des faits. Leur première discipline est la recherche d’informations vérifiées, sourcées et contextualisées. Leur première loyauté est envers les citoyen.ne.s et prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics.

> La confiance dans l’information passe par la participation des citoyens.

Le Transfo est un lieu de rencontre et de partage entre, d’une part, des médias (numériques et imprimés, écrits et audiovisuels) dont les rédactions partagent des valeurs démocratiques d’indépendance professionnelle et de pluralisme éditorial et, d’autre part, les publics auxquels ils s’adressent dans le respect de leur diversité sociale, culturelle, spirituelle, générationnelle, sexuelle.

Les activités du Transfo – expositions, formations, ateliers, conférences, débats, projections, rencontres, colloques – visent à associer les citoyen.ne.s aux défis démocratiques et aux enjeux professionnels d’une information de qualité, soucieuse de l’intérêt public.

> La liberté de l’information suppose le pluralisme de la presse.

Le Transfo héberge des médias résidents, qui ont la responsabilité de l’animer, et accueille des médias usagers, qui ont la liberté de l’utiliser.

Les médias résidents ont en commun une indépendance économique qui fonde leur liberté, c’est-à-dire qu’ils ne dépendent pas d’intérêts extérieurs aux métiers de l’information et vivent prioritairement du soutien du public. Ils assument une gestion démocratique, collective et transparente, de leurs entreprises quel qu’en soit le statut juridique.

Les médias usagers souscrivent aux principes fondateurs énoncés dans cette Charte, quelle que soit leur situation capitalistique. Leurs rédactions s’engagent à les défendre, y compris, si nécessaire, face à leurs actionnaires. Elles contribuent à l’animation du Transfo en utilisant ses potentialités et ses espaces pour des activités ou des événements publics.

Qu’ils soient usagers ou résidents, tous les médias du Transfo s’engagent à ne pas relayer des opinions à caractère raciste, xénophobe, révisionniste, négationniste; ni des propos injurieux, diffamatoires, discriminants, envers une personne ou un groupe de personnes, en raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une religion, tout comme de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap.

> La révolution technologique appelle une invention démocratique.

Le Transfo entend incarner la nouvelle révolution industrielle (numérique/digitale) dans sa dimension démocratique la plus manifeste et concrète : l’extension du droit de savoir et de la liberté de dire. Son souci prioritaire de l’innovation technologique sera mis au service d’une double ambition, éditoriale et sociétale, afin d’élever le débat public et de renforcer l’information de qualité.

En accueillant des médias et des métiers qui en sont les acteurs, en facilitant des relations coopératives entre eux (pratiques solidaires, souci du bien commun, responsabilités éthiques) et en inventant un lieu participatif (d’accueil, de débats, de rencontres, de circulations et d’échanges), il entend faire le lien entre tradition et modernité : tirer vers le mieux disant démocratique l’information à l’ère numérique.

Accueilli par un ancien « poste de transformation », il fait symboliquement écho aux défis déjà posés par la précédente révolution industrielle, celle dont le moteur technologique était l’électricité qui permettra l’avènement de la presse de masse. L’engagement de toutes celles et tous ceux qui le feront vivre, y résideront ou l’utiliseront, est de tout faire pour éviter la répétition tragique des aveuglements d’hier où les innovations techniques de la modernité, loin de les empêcher, furent mises au service d’une brutalisation de l’humanité, de catastrophes destructrices et de régimes autoritaires.

Pour tout contact : agnesrousseaux@bastamag.net / laborie@politis.fr

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